Formery Alphonse Valentin  né le 21.11.1927

 

En quittant mon ancienne maison située près du ruisseau en septembre 1939, je me suis retrouvé évacué avec ma famille à Bonnes, puis renvoyé sur Montceau-les-Mines. J’avais 12 ans à l’époque des faits : ces années de pré-adolescence où j’aurai pu mûrir et étoffer mes connaissances ont été gâchées par la seconde guerre mondiale. J’ai suivi un enseignement à l’emporte-pièce, dans la promiscuité des salles de classe surchargées et dans la fièvre et l’angoisse des lendemains.

Rentré en octobre 1940, j’ai pu mesurer l’ampleur des dégâts causés par les bombardements d’artillerie dans notre quartier ravagé. Un petit Sodome et Gomorrhe ! Nous avons pu être hébergés dans la maison de Wagner Robert avant de pouvoir disposer d’un étage dans l’actuelle maison Aug.

C’est là, que le 18 janvier 1943, nous avons dû plier bagages avec nos maigres baluchons sur l’injonction de la Gestapo et de la Feldgendarmerie. Pourquoi cet exil ? Dès 1942, ma famille s’était décidée à fuir le régime et à s’expatrier en refusant l’intégration dans la communauté du peuple allemand. Mon frère aîné avait pu franchir la ligne de démarcation dans des conditions rocambolesques.

Tout cela avait été noté et pris en considération par l’administration nazie et ne plaidait pas en faveur d’une indulgence. Nous voilà donc rassemblés avec une cinquantaine de familles obstinées dans le hall de la gare de Saint-Avold avant de partir vers l’inconnu dans des wagons à bestiaux. Le périple dans le Reich profond a duré un jour et demi. J’ai débarqué de nuit dans une contrée enneigée ; il fallut transférer nos valises sur un large traîneau emmené par des chevaux qui se dirigèrent vers Wartenberg an der Roll. Nous fûmes ventilés dans les différentes pièces d’un château qui avait connu en son temps les fastes de la chevalerie. L’hébergement y fut vite précisé, les rôles distribués, les consignes formulées. En outre, le Lagerprinzip stipulait que tout être humain devait être attelé à une tâche : qui veut manger doit travailler. Me voilà donc, à 15 ans et demi embarqué dans une équipe de bûcherons à débarrasser la futaie de ses arbres rabougris. Le salaire lié à ce travail était versé à la comptabilité du camp qui nous ristournait un maigre pécule. Ne parlons pas de la nourriture qui nous permettait juste de subsister et de tenir le coup (über’s Wasser). Une semaine après ce travail sylvestre, je fus réquisitionné pour aller implanter des pylônes à haute tension, du côté de Reichenberg. Une quinzaine de personnes de Farébersviller et une équipe équivalente de gens de Farschviller s’activèrent à la tâche, les deux groupes ayant eu pour consigne de démarrer chacun au bout de leur tronçon et de se rejoindre en fin de compte. 

L’organisation allemande était proverbiale : toutes les mains devaient travailler pour la gloire du Vaterland. Dès la besogne effectuée, nous voilà transférés à Unterreichenau. Dans les baraques en bois, toutes les punaises du secteur s’étaient apparemment donné rendez-vous. Ces bestioles nous empoisonnaient l’existence : aussi, pour les calmer, allumions-nous jour et nuit la lumière qui les paralysait dans leur action suceuse. Pour échapper à leurs morsures, Siebenschuh Christian dormait sur une table ! 

Un nouveau départ se précisa : nous atterrîmes à Falkenau  dans les mines de lignite (Braunkohle). Le camp était salubre, les puces s’étaient évaporées. Dans les galeries enterrées à 80 mètres sous terre, j’étais chargé de guider les wagonnets (remplis à partir du plan incliné) vers les puits central où ils étaient encagés pour la remontée au jour. Un porion compatissant s’étant enquis de mon âge (16 ans) m’envoya en apprentissage ce qui d’emblée me déplaisait car j’abhorrais l’enseignement à l’allemande. De guerre lasse, on me glissa dans la Holzkolonne (équipe à bois) où je retrouvais les anciens (Schmitt Joseph, Heiser Eugène et Formery Alphonse pères). Nous devions étuver les poteaux de galeries pour les rendre imputrescibles. Séparé de quelque 250 km de ma famille, je pouvais toutes les quinzaines la retrouver.

Pris dans les circuits "touristiques", je déménageais cette fois avec ma famille en Silésie à Falkenheim, un camp gardé par les S.S. Mon travail consistait à meuler des verres et des vases en cristal ajourés de traits noirs sur lesquels devait passer au millimètre la meule. L’apprentissage était rondement mené car il fallait du rendement dans cette Glassschmirckelrei (miroiterie).

Le démon de la vadrouille chatouillait les Allemands car nous voilà affectés peu après à Goldberg. Je logeais avec d’autres compatriotes dans des baraques. Les uns extrayaient le minerai de fer tandis que d’autres (comme moi) travaillaient au jour à isoler les conduites. J’y rencontrai un prisonnier italien qui me fit apprendre la canzonetta "Mamma santanto félice". Nous disposions de cartes de ravitaillement : le manger était spartiate. La saison était rude et plus d’une fois, je dus sauter par la fenêtre pour débloquer la porte d’entrée emmurée par les congères de neige.

Les grondements des orgues-de-Staline se rapprochaient. Logés à l’extérieur du complexe minier (Wolfsdorf), nous fûmes rapidement emmenés par nos gardes sur les routes de l’infortune. (Des mineurs ayant préféré la douce quiétude des galeries à la promiscuité de nos baraques eurent la chance d’être libérés avant nous par les Russes). En plein hiver, suivant les chariots sur lesquels s’entassaient nos frusques, nous étions emportés dans la cohue des réfugiés où se retrouvaient pêle-mêle tous les déracinés du conflit. J’ai pu voir Dresde, ou du moins ce qui en restait.

Un beau matin, nos gardes avaient disparu nous laissant désemparés en pleine nature. Quelques familles avaient opté (Kleinhentz Jean-Nicolas) pour un retour sur Reicheberg. Ma famille accompagnée des consorts Sauder-Houllé partit retrouver une tante sarroise établie à Schweinfurt. Charmante dame. Bien qu’elle ait perdu deux fils, elle et ses trois filles nous firent l’honneur de leur maison. Je me remplumais grâce aux bayrischen Klösen (boulettes de gruau). Je travaillais durant ces 4 à 5 semaines dans une ferme.

A la joie de rallier le pays natal, nous avons décidé d’échelonner les étapes à raison de 30 km par jour. Traînant nos charretons, nous voilà par monts et vaux, avançant vers le Heimat lointaine (800 km). Une jeep s’arrêta lors de notre quatrième journée de randonnée et s’enquit de nos identités. Nous fûmes emmenés le 20 avril 1945 (jour anniversaire de la naissance de Hitler !) dans un centre de rassemblement du côté de Schweinfurt.

Les réfugiés affluaient. Fin avril, nous fûmes convoyés dans des wagons à bestiaux vers la Lorraine. Sarrebruck, puis Béning défilèrent devant nous. Comment descendre ? Une halte en rase campagne aurait été l’aubaine. Enfin, un passage à niveau à Hargarten-aux-Mines arriva fort à propos. Nous voilà, rapides comme l’éclair, en train de débarquer sens dessous dessus (über Hals und Kopf) sur le quai d’arrivée. Les tickets pour  Béning déjà en poche, nous nous apprêtions à prendre le train, lorsque, catastrophe ! une patrouille française nous réexpédia vers Longuyon, centre de rapatriement.

Bientôt, un semi-remorque américain nous récupéra et nous ventila dans nos villages respectifs. Passant par Merlebach, un compatriote (Kalfous Jules) nous repéra à l’arrière du camion US et fila annoncer la nouvelle de notre arrivée. Le 1er mai 1945, nous débarquions en haut du village, attendus par les familles inquiètes du sort des autres réfugiés.