Farébersviller, le 9 juillet 1945.

 

Chère Marraine,

 

Je vous écris cette lettre pour vous donner de mes nouvelles. Toute l’année dernière, les avions mitraillaient les trains et les autos. Ils ont mitraillé la ferme et aussi la maison de Marie Steinmetz. Quand ils ont mitraillé cette maison, nous étions dans la cave. Nous sommes sortis, on croyait que notre maison brûlait. Tout était plein de fumée. Nous avons aidé à éteindre le feu.

Un beau jour, nous sommes allés arracher les pommes de terre. La sirène avait déjà hurlé « grande alarme ». Nous courons vite dans un fossé, mais nous ne sommes plus arrivés. Les mitrailleuses crépitaient, les bombes sont tombées sur la ferme, mais par chance, il n’y avait pas de mort.

Le 22 novembre, les premiers obus sont tombés sur le village. A une heure du matin, dans la nuit, nous avons pris vite nos quelques paquets et nous sommes partis au moulin.Le 1er septembre, nous avons bien entendu les canons qui se rapprochaient toujours.

Le 26 novembre, les premiers Américains sont venus à un kilomètre d’ici, mais ils ne sont pas restés.

Le 4 décembre, ils sont encore une fois venus, mais pour de bon.

Quand ils avançaient vers le moulin, ils ont amené seize blessés. Dans la nuit, papa leur a montré le chemin de Seingbouse, le village voisin, où il y avait la Croix-Rouge.

Des infirmiers de la Croix-Rouge ont emmené les blessés sur des civières. Ils ne pouvaient pas prendre le chemin direct, car les Allemands les avaient aperçus, ils devaient faire un détour. Le jour après, un mercredi matin, mon père est allé avec un drapeau blanc et deux patrouilleurs américains dans notre maison ; ils ont passé la rivière. Quand ils sont arrivés à la première maison, chez Houselstein, mon père a demandé si les Américains étaient dans le village. On lui a répondu: « Ils sont allés ce matin à Théding ».

Mon père était content et il prit les deux Américains avec lui, pour aller dans notre maison. Mon père a donné à manger aux bêtes, les Américains pompaient l’eau pour la vache. Puis, il demandait chez Egloff si les Américains étaient là. « Taisez-vous, dit le vieil oncle, chut, il y a deux minutes les Allemands étaient là. Nous n’avons pas vu les Américains ».

Les Allemands étaient derrière notre maison, ils creusaient une tranchée. Quand ils étaient bien au travail, mon père, suivi des deux Américains, sont partis. Les Allemands étaient bêtes, ils ne les ont pas vus. Revenu chez maman, papa lui a dit: « Je n'ai rien vu ! »  Une fois libérés, quand nous sommes revenus au village nous ne l’avons presque plus reconnu. Je vous embrasse bien fort.

 

 

Votre filleule Colette Siebert, 12 ans.