«Songeur, je suis en train de me remémorer mon horrible mois de mars 1943. Sous des dehors apparents de profonde réflexion, j’égrène mentalement ces quatre semaines fastidieuses que j’ai subies tout comme ma trentaine de camarades. Devant moi, la voix tonitruante du Herr Lehrer me ramène parfois à la dure réalité.

Le Schulmeister venu directement d’Allemagne nous dispense des cours idéologiques nazis où l’enseignement classique a perdu toute prérogative. Ah oui ! pourvu que Melle Hilt, notre institutrice, nous revienne vite ! Elle a dû partir se recycler et sa Umschulung (rééducation professionnelle) dure deux mois.

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Pas moyen de chuchoter avec le voisin, car le verbe haut et les manières prussiennes ont assagi la classe et personne n’ose braver le diktat. Je suce machinalement mon crayon d’ardoise et prétextant un calcul mental apparemment difficile, je m’épuise à en trouver la solution. Les sourcils broussailleux qui sont au beau fixe m’encouragent à dessiner…. les fortins de la ligne Maginot. Oh ! d’un trait léger que ma main adroite pourrait effacer rapidement d’un revers ! Me voilà plongé dans les casemates du côté de Cappel, jouant à coup sûr gagnant. De savants dédales avec des approvisionnements inépuisables meublent mon univers inexpugnable. Pas pour bien longtemps, car la bouche moustachue a haussé le ton pour nous sortir de cette léthargie bienfaisante.

Monsieur vient de se lever de son pupitre et arpente l’allée devant les tableaux. Son cours magistral va reprendre et comme hier, je le redoute, durer plus d’une heure. Aurait-il déteint sur le chancelier Hitler, car son élocution saccadée part en jets continus. Mon petit frère, assis trois rangées plus loin du côté des fenêtres, se trémousse imperceptiblement sur sa chaise et regarde d’un air béat les allers-retours fastidieux du bonhomme.

Il nous résume au préalable son cours d’histoire rebaptisé à la sauce brune allemande.

1) Arminius (der heldenhafte Herrmann) et les légions romaines de Varus défaites dans le Teutonenburger Wald,

2) La chute de l’empire romain,

3) La peuplade germaine des Francs, j’insiste sur germaine !,

4) La Francie méridionale de Lothaire,

5) Le duché de Lorraine à 100 % allemand.

Le voilà maintenant aux trousses de Napoléon...le petit et l’air réjoui il nous parle de la 1ère grande victoire des Prussiens obtenue sur l’ogre corse. La voix rapide fait défiler les étapes chronologiques. Bismarck est son enfant chéri et il savoure le traité de Francfort de 1871 lequel consacre, juste retour des choses, la Lorraine à l’Empire.

« Savez-vous que notre cher pays a dû livrer une série de batailles en août 1870 pour que vous retrouviez la terre de vos aïeux ? » J’apprends un peu étonné que Spicheren a été une fantastique victoire allemande qui nous a permis d’enfermer Basèn (Bazaine) et son armée dans la ville de Metz (Mètse). Et moi qui croyais que les Cuirassiers de Reischoffen avaient lavé l’honneur de Sedan ! Un rire moqueur m’apprend qu’outre les boutons de guêtres...il manquait beaucoup de courage aux couards Franzosen...ohne Hosen. Diantre ! Cet uhlan pédagogique du Grossdeutschland nous «kulturise» à la vitesse du moteur Ferdinand Porsche !

Alors que la prière du matin était dite comme une ritournelle immuable dans notre terre du Concordat, Herr Pédagog a balayé dès le premier jour cette pratique impie à sa conviction. «Désormais, chaque matin, il y aura le Grüss au Führer !» et dans un brouhaba chaque jour plus affirmé, le Heil Hitler se transfigure en Scheiss Hitler et autres onomatopées à faire darder de fureur la moustache d’Adolf.

A peine assis, nos pupitres à clapets s’ouvrent «leise» (sans bruit). Pour arriver à cette pratique silencieuse, nous avons passé quelques moments pénibles : Monsieur nous a gardés après la classe pour nous apprendre à soulever correctement les vantaux jusqu’à ce que ce fut «mäuschenstill !» (on entendrait voler une mouche).

Nos Bleistifte (crayons) et autres ustensiles scolaires se calent dans la rainure tandis que l’un des grands passe remplir les encriers.

Nous attendons, les bras croisés, la morale de la journée : der Tagesspruch, le dicton du jour. Ein gutes Kind gehorcht geschwind. Un enfant bien élevé obéit vite.

Nur gespannt, zeigt der Bogen seine Kraft. Pour libérer toute sa force, un arc doit être tendu.

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Puis la ventilation des leçons adaptées et différentes suivant les tranches d’âges se fait rapidement :

- exercices de calcul pour les plus grands (voir tableau, ex 3, 4, 5 Blatt page 121).

- récitation pour les plus jeunes.

Voici vaguement celle qui me revient : Sieben roten Schweine, sieben wochen alt, wollten einmal wandernin den grünen WaldHinter eine Eicheruhten sie sich aus. Ihnen war’s so schwer das Ränzlein von den Eichenschmaus zu heben... : dont traduction : Sept cochons rouges âgés de sept semaines voulurent un jour voyager dans la forêt verte. Derrière un chêne, ils se reposèrent. Il leur fut bientôt difficile de soulever leur bedaine qu’ils avaient remplie grâce au gueuleton de glands.

Je puis vous assurer que nos petits cadets avaient du mal à maîtriser die Goethe Sprache, habitués qu’ils étaient à parler la Muttersprache (langue maternelle) en francique. Voilà ce que cela donne en patois farébersvillois :

Zive rode Schwin, zive Wouche old hon wille èmol spaziare gen’ in de grine Wold. Hèna eun’ èchebam roun’ si sich ous. Ine was so schwéa de klène Pons foll fon so goude èchate hoch moche !

Dein Dialekt verrat dich !“ hurla alors le Maître !

Ton dialecte te trahit ! Nous allons le corriger !

9 heures viennent de sonner à l’horloge de notre tour fortifiée. Réglé comme une montre suisse, le pédagogue nous propose une leçon d’écriture. Il y a peu de changement dans l’écriture classique allemande par rapport à la cursive minuscule française.

Ce qui est dérangeant, c’est qu’il nous a promis pour aujourd’hui la Spitzschrift aux signes cabalistiques. (modèles d’écriture Sutterling ci-joints: Der Vater, Die Großmutter, der Fuchsschwantz, die Zigeunerin, Hitler, Goering). Vous vous rendez compte, à 11 ans, devoir reprendre une telle calligraphie ?

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Je m’en moquais gentiment lorsque grand-père habitué à une telle écriture s’ingéniait certains soirs à refaire ses gammes.

Je vous livre nos premières impressions. Nous en parlons à la récréation en mâchouillant notre pain élastique.

« On dirait des dents de scie, d’ailleurs ma plume grince sur le papier comme la queue-de-renard (der Fuchsschwantz) de l’oncle sur les bûches !

- Vous avez vu le G majuscule. On dirait le ventre de la grosse Bi...! s’esclaffe le malicieux Marcel (Marzel).

- Remarquez, pour Goering, cela lui va comme un gant ! glisse entre les lèvres le futé René. (Renatus).

- Avez-vous remarqué que le H et le Z se ressemblent ? nous fait remarquer un élève de fin de cycle. Comme si les Zigeuner et Hitler étaient jumeaux et voulaient s’embrasser !

- Tais-toi ! voilà les fils des Siedler qui s’approchent. Tu vas finir au K.Z ! »

Nous partons jouer aux Kligate (billes) jusqu’au coup de sifflet strident qui nous ramène par deux et en silence dans la salle bien aérée.

L’encre violette s’incruste entre les lignes des pages crème du cahier ; de temps en temps, elle file entre les fibres du papier-ersatz.

Ecrivez : Donnerstag, den 15ten (fünfzehnten) Lenzing

- ?!?

- Lenzing ist ein althochdeutsches Wort für März denn das alte Wort lengizing bedeutet langtägig.

- Herr Lehrer, die Tage werden immer länger !

- Gut, Schüler Bassler, (un fils de colons. Ces derniers ont récupéré les maisons libérées, placées sous séquestre. Rappelons que les villageois contestaires ont été déportés pour non-signature à la Volksgemeindschaft dans les Sudètes et en Silésie le 18 janvier 1943).

- Nous allons maintenant faire un exercice de vocabulaire et germaniser (verdeutschen) ces mots français à extirper de notre langue. Par exemple si je vous dis Armee, il faudra me répondre Heer et non Herr, verstanden !

Si je vous dis Bagasch que faut-il trouver ?

- Bagage, répond Marcel.

- Nein, Idiot. Man sagt Sack und Pack. On voit que vous avez subi l’influence néfaste d’une langue de sous-hommes. Au temps de ce stupide Louis XIV, une invasion de mots étrangers se déversa sur notre langue. Notre allemand ne fut pas assez fort pour nous prémunir contre ce flot de mots envahisseurs étrangers. Il ne manquait souvent que notre bonne volonté pour gagner. Notre belle vanité l’emportait sur notre Nationalstolz. Si je dis Granate, que me répondrez-vous ?

Le nom d’oiseau de tout à l’heure nous a refroidis. Le jeune Bläss est hors-course, il vient de la Bessarabie.

Alors la voix doucereuse nous aiguillonne gentiment.

Finalement le brave Marzel nullement échaudé se lance à nouveau :

- Eine Granate ist eine Grénadé.

- Himmelsdonnerwettersakrament! Was für eine Schlappenpater Bande !Il faut dire qu’il n’aime pas les curés et salue toujours du signe hitlérien le brave curé Jung, pourtant officier au temps du Kaiser. Ach ! le déluge des mots étrangers, lors de la guerre de Trente ans, a chassé nos nobles expressions. Des mots français datant de Frédéric le Grand ne sont aujourd’hui plus de circonstance im Reich. Des mots dont nous devons à tout prix nous débarrasser (los werden müssen).

Toilette, Kavalier, Dame, Kompott, Dessert, Likör, amusieren, Salon, Kommode, Büffet, Sofa, Rouleau, Vase, Korridor, Garderobe, Etage, Mansarde, Mama, Papa, Onkel, Tante, Cousin, Cousine. Raus ! dehors !

L’Allemagne, aujourd’hui, est forte. Elle est comparable à un énorme étalon qui dispose d’assez de fourrage expressif pour satisfaire ses besoins linguistiques. Il lui manquait cependant un cavalier et nous l’avons trouvé. C’est notre chancelier du Reich qui conduit et dirige le pays. Il est le commandant en chef de la Wehrmacht, der oberste Befehlshaber der Wehrmacht. Il veille au salut du pays en proposant du travail et du bien-être à notre peuple.Le service de travail obligatoire, l’aide hivernale aux démunis, la solidarité ont été inventés par lui.

Il combat les ennemis de l’Etat et les traîtres. Il est le plus grand combattant de la Liberté apportée au peuple allemand. (Er ist der größte Freiheitskämpfer des deutschen Volkes). Il vit comme un simple fonctionnaire même si son travail est gigantesque. Il combat et se soucie de nous ; il travaille pour nous ; nous voulons aussi travailler pour lui...»

Ouf ! Ça y est ! Le culte sur la personnalité du chancelier s’est tari et la leçon continue au moment où sonne la demie de dix heures.

Sie schreiben : die alten deutschen Wörter für das Kriegshandwerk wurden durch Fremdwörter verdrängt. Les vieux mots allemands pour désigner le métier des armes de guerre furent évincés par des mots étrangers : « Man sagt Heer und nicht armée, Sack und Pack und nicht bagage. Fähnlein und nicht bataillon. Feldwache und nicht bivouac. Kavalerie und nicht cavalerie. Geschoß und nicht grenade (granate). Gnade und nicht pardon. Lösung und nicht Parole. Lager und nicht quartier !“

Exercice suivant : Comment remplacer un mot étranger ?

Chauffeur = Fahrer, Kraftfahrer, Wagenführer. Pour chauffeur, nous avons trois mots allemands de réplique !

Disputieren = streiten, zanken, in Wortwechsel geraten, sich in den Haaren liegen, die Meinung sagen, aus-einandersetzen.

Trottoir = Fußteig,Bürgersteig, Steig, Gehweg, Fußweg, Gehsteig.

La langue allemande est très riche comme vous le constatez ! Je me suis récolté un pauvre 4 (2 sur 10).

Est-ce une impression ? Il veut faire de nous des héros avant l’heure et le voilà lancé à l’époque de la chevalerie. «Il faut restaurer les vraies valeurs de la bravoure chevaleresque, denn wir feiern heute den Heldengedanktag (nous fêtons aujourd’hui la journée commémorative du héros)» hurle-t-il.

J’apprends ainsi que Panzer est d’abord une cuirasse et que la coccinelle, la bête-à-bon-dieu, est gepanzert.

Pour dérider un peu l’atmosphère, il nous embarque à l’assaut du Bergfried (beffroi) et à force de mimer le Turnier (tournois) nous voilà tous debout en parfaits cavaliers. La Lanze (la lance) pointée en avant, mon voisin Joseph me balance une fulgurante botte (de Jarnac) avec sa règle métallique qui coupe en deux mon crayon et entaille mon Wams (pourpoint). D’un bond rageur je le désarçonne de son destrier et il culbute tête première. Un cri de douleur suivi d’un féroce Halt cloue l’assistance. „Ein deutches Kind ist hart wie Kruppstahl und flink wie die Windhunde. Un enfant allemand est dur comme l’acier de Krupp et rapide comme un lévrier.

La leçon d’expression orale continue sur le même thème : Wörter und Redensarten aus dem Bauern undBürgerleben des Mittelsalter (mots et expression tirés de la vie paysanne et citadine du Moyen-Age).

Mon intérêt s’éveille d’autant plus que (Sepp) Joseph, par esprit de revanche, vient de me cogner durement les chevilles avec ses chaussures cloutées. Une mimique et un coup-de-poing répondent à l’insulte.

-Wenn ich sage «sich verschlagen» welche Redensarten können sie mir auf bestimmte Berufe hinweisen ?Si je vous dis «se battre» quels autres synonymes pouvez-vous me citer ?

Alors là, les trois Siedler excellent. Il faut dire que nous les avions tabassés et roués de coups en janvier dernier dans la ruelle de l’église. Ne nous reconnaissant pas dans l’obscurité, ils en ont dégusté sans pouvoir nous incriminer. Ils ont leur revanche et se surmontent. C’est à qui aura le dernier mot.

- Jemand den Fell gerben (tanner le cuir à quelqu’un)

- Prima, Otto Bessaï !

- den Pelz ausklopfen (lui extraire la fourrure).

- Ja, ja, schön, Benno.

- Jemand aufs Dach steigen (lui grimper sur le toit).

- Ho, ho, wunderbar !

- Vermévle ound schwouaten, surenchérit un Lorrain.

- Nein, du dummer Esel ! Vermöbeln (rouer de coups) und jemand die Schwarte klopfen (secouer les puces).

- Herr Lehrer! den Rücken bleuen.

- Fantastich! denn der Bleuel ist das Schlagholz mit dem die Wäsche geschlagt wird.Fantastique ! car le battoir est le bout de bois frappeur avec lequel on bat le linge.

Mes trois élèves studieux, vous avez sauvé l’honneur de cette classe d’imbéciles qui sont comme des éléphants ignares. Ils préfèrent se vautrer dans la mare de l’ignorance au lieu de boire à la source de la langue germanique !

Bien sûr à l’époque de Frédéric le Grand, la langue allemande n’était pas indiquée, le français était à la «mode».

Plus tard, des Pays-Bas et de France s’enfuirent les Huguenots pourchassés à cause de leur foi. Ils ramenèrent de leurs régions de nombreux ateliers d’artisanat et provoquèrent des progrès en agriculture et en fruiticulture.

- Brosche, Brillant, Batist, Krepp,Tüll, Musselin (étoffe). Etui, Portemonnaie, Mirabelle, Reinette, Reine-Claude

(eigentlich : Königin Claudia).

- Und auch die Qouetschen, glissa Alphonse (Alfons), la bouche en cœur.

- Qui t’a permis de m’interrompre ? fulmina, vexé notre germaniste invétéré.

Rouge comme un Maiapfel (pomme de mai) il explosa : « Donnerkeil ! Was für zweibeinige Dummköpfe habe ich hier im Unterricht ! Diable. Quels bêtas ai-je ici dans mes cours ? Verflixt ! Sacrébleu !

Mann pflückt Zwetschge, Töpel ! On cueille les quetsches, plouc ! und auch Pflaumen bei mir in der Pfalz et également des prunes chez moi dans le Palatinat, du Trottel, tu es une poire, dumm wie Bohnenstroh, bête comme tes pieds !

An Sankt Nimmerleinstag werden Sie vielleicht das ewige Deutsch endlich verstehen. C’est peut-être à la Saint Glin-Glin que vous allez enfin comprendre l’allemand). Ach ! Ich werde Ihnen Alle einen deutschen Anstrich geben. Je vais vous germaniser, Grossdeutschland feindliche Jugend, jeunesse germanophobe !

- D’où vient le mot Deutsch ? Qui peut me répondre ? Personne ? Alors vous allez le savoir ! Le peuple au Moyen-Age ne comprenant pas le latin religieux, il fallut traduire l’Evangile avec des mots appropriés pris dans le langage courant. D’ailleurs, pour vous éclairer la chandelle, je vais vous apprendre que le mot deutsch date du 9ème siècle. Il dérive d’un mot germanique diot ou diet qui veut dire peuple, il est d’ailleurs encore perceptible dans Dietrich ou Dietmar, et peut donc se traduire par «populaire». Déjà, au temps de Karl der Grosse (Charlemagne) on qualifiait notre langue de «diustica lingua» par rapport au latin utilisé dans l’Eglise.

Mais comme le peuple ne comprenait rien au latin des corbeaux à soutane, on lui inculqua l’enseignement chrétien - quelle idée ?- avec des mots propres à l’allemand. Voilà pourquoi deuten signifia «deutlich machen» oder «verdeutschen» (rendre compréhensible). Plus tard, le mot deutsch en dérivant a englobé tout notre peuple.

Le mot «Vranzé» (Français) vient de «Franken», nos amis les Francs venus des régions du Rhin supérieur.

Les Etats du globe auraient dû imposer un autre nom aux Français ou leur laisser le nom d’origine de Gallier (Gaulois) incultes und ihrer derben Spass (gauloiserie) qui vous a «verderbt» (pourris).

Décidément, notre Meister (magister en latin, maître en français) en sait des choses ! Was da er uns quatscht, das kommt uns manchmal böhmich vor ! Ce qu’il nous radote c’est parfois de l’hébreu pour nous.

Il nous colle quatre exercices de Mathematik et va s’occuper des plus petits. Pendant que nous nous battons avec les mesures de capacité qui ne changent pas comme celles qui nous ont abreuvé l’année précédente en Charente, avec les Krane (robinets et non les grues) qui fuient.

Les petits ont droit à l’heure sacrée du conte : Das Schwedenmertel.

J’apprends ainsi d’une oreille distraite qu’un capitaine suédois fut lâchement assassiné dans une mardelle de la forêt de Farschviller. Les Allemands sont forts pour faire renaître le passé, et il faut l’avouer, le maître est un excellent conteur qui subjugue son jeune auditoire à qui il promet le lendemain l’histoire du Humriger Schloss (château de Hombourg-Haut).

Avant midi, pour se concilier nos bonnes grâces, il prend un ton maternel, méfiances mon gars ! et nous demande ce que maman va entreprendre comme travaux ménagers pour le Ostermond (avril = lune pascale).

Des doigts impatients claquent.

- Pour Pâques, ma maman va commencer par cir...

- Dans le IIIème Reich, il n’y a pas de place pour les fêtes religieuses ! Pâques c’est pour les Juifs qui ont cloué le fils d’un charpentier. Ne recommencez plus vos insanités.

- Moi je vais vous dire, morveux, ce que la femme aryenne entreprend comme travail le mois prochain ! Et une litanie, pardon une série impressionnante fuse pour valoriser le travail de la mère au foyer : battre les tapis et en passant vous bottez le derrière, laver les portes et vos oreilles, nigauds !, lessiver tables et chaises et vos cervelles qui ne sont pas de reste, épousseter les murs ainsi que vos stupidités, laver et refixer les rideaux tout comme votre ignorance, nettoyer les fenêtres et vos yeux endormis, sortir et aérer les matelas et également votre naïveté, balayer la cave et vos bêtises, enfin faire briller les cuivres et votre pauvre intelligence !!

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Le carillon des cloches ne distille plus l’angélus mais un simple rappel des 12 coups. Le maître nous lâche pour la Mittagspause (pause de midi, les 3 cloches ont été enlevées pour être fondues, seule la plus petite est restée). Telle une volée de moineaux, nous nous égayons à nouveau dans la cour.

Quelques blagues nous remettent de bonne humeur.

- Qu’y a-t-il après le IIIème Reich ?

- Le IVème Reich !

- Je croyais l’Allemagne d’Adolf éternelle!

- Vous savez ce qu’a fait le bébé de la reine de Hollande à qui Hitler a offert des langes frappées de la croix gammée ? Eh bien ! il les a emmerdées.

- Et celle du curé qui demande à Marie «qu’a donc fait notre Sauveur au Jardin des Oliviers ? Was hat unser Heiland (Hitler le sauveur) im Oelgarten getan ?»

- Il a pioché !!!!Her hat gehackt. (A hot’ gehockt, en francique).

A 12 heures 30, une leçon de morale nous attend, puis de la diction grammaticale : die richtige Sprach Übung.

Geschlechstwort = l’article, das Thermometer (le neutre das), die Butter (la beurre).

Le génitif saxon : Albert’s Buch

Le maître a repris son air bonhomme et cherche à nous séduire.

- Dis, toi, Johann (Jean), tu as toi-même déjà participé à des quêtes, tu as commencé à les faire. Tu ne t’en portes pas plus mal, à la limite cela te réjouit de continuer et d’aider les familles nécessiteuses, les mères malades et les enfants dans le besoin. Niemand soll hungern und frieren. Personne ne doit souffrir de la faim ni du froid. Mets-toi une seconde à leur place. Aussi mes chers enfants, pour que vive l’Allemagne de 1000 ans, devons-nous donner l’exemple.

Pensez à la Pfundsammlung (collecte de livres),

- an die Eintopfspende (don pour la potée unique) du Coluche avant l’heure !

- an den Abzeichenverkauf für Straßen - (ventes d’insignes de la NSDAP pour les routes),

- an die Kleidersammlung (collecte d’habits),

- an die Weinachtspakete (colis de Noël),

- an die Kriegsgräberfürsorge (aides pour les cimetières militaires).

Son émotion hypocrite nous remue singulièrement au point pour nous d’être animés de philanthropie incommensurable pour le genre humain...allemand car, comme le dit notre aimable interlocuteur, les Juifs, les asociaux et autres bohémiens n’émargent pas dans le catalogue des oeuvres de bienfaisance et il conclut d’une belle tirade : «Das Winterhilfswerk ist das große Liebeswerk des deutschen Volkes. Le secours d’hiver est la grande oeuvre d’amour du peuple allemand.

Les enfants, avant de faire du sport, nous allons encore apprendre une poésie qui a trait au courage du peuple qui ose se révolter contre l’oppresseur. Karl der Grosse (Charlemagne) soutint la langue et la prose allemande. Il fit transposer les chants des héros et essaya d’introduire un calendrier germain. Cela ne lui réussit pas. Ne devrions-nous pas réutiliser ces mots si beaux ?

Je vais vous apprendre un chant de héros anonymes, si proches de vos chers aïeux. Vous verrez apparaître des termes allemands très beaux ; chaque syllabe ou pied transpire la Kultur allemande.

Débarrassez-vous de cette littérature naïve et enfantine qui n’est plus «à la mode de chez nous»! Il faut couper le cordon ombilical à la prose française ! Lui, notre langage allemand riche et plein d’ardeur est vivant : Arbeit, Brot, edel, Flagge, Speer (travail, pain, noble, drapeau, épée...). Et puis il génère continuellement de nouveaux mots. Prenons par exemple : Kraft durch Freude, Bund Deutscher Mädel. Straßen des Führers, Luftgefahr, Luftschutz tut Not. Gemeinnutz geht vor Eigennutz. Non, chers élèves, jetez aux orties la langue française que vous parlez d’ailleurs bien mal.

Nous allons apprendre la 1ère strophe et la savoir pour demain : «Bauernaufstand».

Il usa beaucoup de salive pour nous expliquer les tournures poétiques de cette révolte paysanne ; il mit tout son coeur pour sauter dans la peau des personnages. Le malheur voulait que nous allions devoir apprendre les quatre premières phrases pour ce soir et que l’heure de la pêche aux vairons avec nos 2 gaules (De Gaulle) - en plein frai- était à accrocher aux patères des occasions perdues. Il nous restait une demi-heure.

Chers sportifs, futurs héros de notre Allemagne éternelle, avant d’aller courir dans la belle campagne lorraine, dans cette terre ancestrale foncièrement germanique, je vais encore vous donner quelques règles de vie pour ne pas vous encroûter à la française :

- bougez beaucoup en plein air

- baignez-vous régulièrement

- promenez-vous énormément

- ne mangez ni ne buvez exagérément

- faites du sport, oui, beaucoup de sport.

Et à hauteur du cimetière, après une course endiablée de 300 mètres, il nous fit ramasser des plantes médicinales bien rabougries et quelques centaines de glands pour un futur bricolage.

Lui, exténué, avait du mal à reprendre son souffle. Sur le chemin du retour, il nous fit l’éloge de la Hitlerjugend et il nous voyait, nous ses chères têtes blondes dans la Gliederung und Aufbau der H.J. (Ha iott) de Pfarrebersweiler ! Et nous croyant acquis à sa cause, il entonna le S.A Lied :

Die Fahne, die Reihe festgeschlossen. S.A marschiert mit ruhigen festen Schritt Kameraden die Rotfront und Reaktion erschoßen Marschiert im Geist in Reihen mit...

Le drapeau (porté haut), les rangées bien formées la SA marche à pas tranquilles et sûrs.

Camarades, les communistes (Rotfront) et les réactionnaires (étant) fusillés, la SA avance en marchant groupée et en pensée... Vivement le retour de notre maîtresse !

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Autres anecdotes rapportées par Emile Hilt:

- A la rentrée de Charente, ma sœur a commencé en institutrice consciencieuse à rassembler les élèves dans une chambre de la maison Céline-Kirch, l’école étant inhabitable.

Avec la langue allemande devenue obligatoire, le plus pressé pour elle fut d’apprendre d’abord aux enfants les prières et cantiques de cette langue nouvelle pour l’assistance de la messe célébrée obligatoirement en allemand.

Un chef s’est présenté en classe durant l’apprentissage et il a fait son rapport. L’affaire fut classée.

- Une leçon de choses parlait des artistes et de leurs œuvres. On cita les aquarelles, les peintures à l’huile...

Ma sœur fit décrocher le portrait d’Hitler pour expliquer aux enfants qu’il existait également la photographie comme moyen d’expression artistique.

Après la leçon, elle ordonna : «Hängt Ihnen wieder auf, Raccrochez-le à nouveau. » Cela ne plut pas aux enfants de Siedler car on pouvait en interpréter le sens autrement (rependez-le). Il doit y avoir eu un avertissement.

-Le cas le plus grave :

Comme certains enfants négligeaient les offices religieux, elle lança furieuse : «Si vous ne voulez pas suivre les offices à l’église, allez-vous enrôler à la Hitlerjugend. L’affaire fut citée à l’autorité scolaire de Saint-Avold où ma sœur fut convoquée. Elle n’était guère à l’aise en y allant. En arrivant devant les bureaux elle fut interpellée par une dame : «êtes-vous Joséphine Hilt ? »

Les deux ne se connaissaient que de nom, car Mina était nièce par alliance de ma tante Thiel ; mais elle était la secrétaire du «chef» qui avait convoqué ma sœur. Mina donna à Joséphine toutes les instructions pour arriver à se disculper : nier. Finalement, elle s’en est tirée sans déplacement disciplinaire. Il est vrai que le docteur Siebert de Merlebach avait établi des certificats alarmants concernant la santé de ma mère, cardiaque.

François Formery, l’homme à tout faire de la commune et indispensable pour sa survie, a témoigné à maintes reprises et efficacement pour disculper ma sœur.