Comment vivait-on sous l’Occupation allemande ?

 

Avant-guerre, Farébersviller était un paisible village de 589 habitants situé près de la Ligne Maginot. 

Si en 1938 Chamberlain et Daladier, les premiers ministres anglais et français, ont pu sauver provisoirement la paix à la conférence de Munich, le 1er septembre 1939 sonne l’évacuation générale des localités placées devant la frontière allemande. Il faut tout quitter en n’emportant que 25 kg de bagages et partir vers l’inconnu. Le périple va durer 9 interminables jours et le 10 septembre, enfin, les Farébersvillois se retrouvent à Bonnes en Charente.

Les villageois s’organisent avec l’aide des Bonnois. Malgré la langue, ce patois francique qui ressemble étran-gement au parler de Goethe et donc à l’ennemi séculaire, des liens forts se créent pourtant ; les ménagères échangent leurs recettes de cuisine, les hommes trouvent du travail dans les fermes et les villes avoisinantes, les enfants vont à l’école. Mais les nouvelles ne sont pas rassurantes. 

Le 30 mai 1940, nos concitoyens interloqués découvrent à la une du journal La France de Bordeaux et du Sud-Ouest une photo de la rue principale du village dévastée par les bombes.

Avec les nouvelles alarmantes provenant du front de Lorraine et, malgré l’héroïsme de nos soldats, c’est bientôt la défaite française. L’Armistice est conclu le 22 juin 1940 avec Pétain.

Tous les Alsaciens-Mosellans doivent rentrer suite aux clauses de cet armistice ; le départ de Bonnes a lieu fin septembre. De retour le 2 octobre 1940, les villageois affligés trouvent leur localité en ruines, avec ses maisons vandalisées, éventrées ou littéralement rasées. Devant ce désastre, il faut recommencer à zéro et s’entraider pour pouvoir s’abriter. C’est l’époque du Wiederaufbau, la reconstruction organisée avec une rigueur bien germa-nique. Mais leur déception est aussi morale car, à peine arrivés, les Farébersvillois sont obligés de signer un papier par lequel ils se reconnaissent « Volksdeutschen », c’est-à-dire citoyens allemands. 

La Moselle est annexée au Gau Westmark le 30 novembre 1940.

Ils ne se sentent plus chez eux. L’Allemand est là qui les oblige à s’exprimer en hochdeutsch et non plus en dia-lecte, à obéir aux règles et au nouveau régime hitlérien. 

La race des Seigneurs est victorieuse sur tous les fronts, mais l’étendue des champs de bataille commence à peser lourd dans la vie économique du IIIème Reich. Les jeunes Alsaciens-Mosellans sont appelés à effectuer le Reichsabeitsdienst (service obligatoire au Reich) puis à devoir entrer, sous peine de représailles à l’encontre de leurs familles, dans l’armée allemande (décret du Gauleiter Bürckel signé le 28 août 1942).

Mais bientôt la Wehrmacht essuie ses premiers revers sur terre, air et mer. La formidable machine de guerre fasciste commence à se gripper. Les conséquences deviennent plus dures. Ceux qui ne veulent pas coopérer sont déportés par familles entières en Silésie et au pays des Sudètes ou pire, expédiés dans les sinistres camps de la mort comme Dachau.. Le contrôle est renforcé ; les perquisitions sont fréquentes. Les incorporés de force doi-vent se sacrifier et se battre pour une cause qui n’est pas la leur : on leur donnera le nom de Malgré-Nous.

Les victoires du début sont remplacées maintenant par des défaites sanglantes. Dans ce bout d’hexagone annexé, on se met à espérer que la fin du régime nazi est proche. Le 6 juin 1944, le monde a les yeux fixés sur la Normandie. La ville de Paris est libérée le 25 août. La route vers l’Est est ouverte. Patton arrive !

 

 

Avant d’aborder la bataille de Farébersviller, il est bon de rappeler rapidement dans quelles conditions vivait notre population et se poser la question de savoir pourquoi beaucoup de personnes ont cherché à fuir le régime nazi et à refuser l’embrigadement hitlérien.  

Sous l’occupation allemande, il n’y a pas assez de nourriture pour les habitants, pas assez de charbon pour le chauffage, de tissu pour les habits, de cuir pour les chaussures. C’est la diète imposée pour couvrir les mons-trueux besoins de la machine de guerre insatiable. Un système de rationnement est mis en place qui indispose tout le monde. Les habitants sont destinataires de tickets qui leur ouvrent droit à une panoplie de produits, réper-toriés ou variables selon l’âge ou les circonstances. Mais les tickets ne suffisent pas. Beaucoup s’adonnent au marché noir, préférant les produits du terroir aux produits de substitution, les ersatz. L’abattage d’un cochon est strictement contrôlé, les fermiers doivent donner les œufs, non par douzaines mais d’après leur poids ! Le café est une denrée rare et se remplace par du malt d’orge ou par une mouture de  glands séchés et brûlés dans les fours. On cultive le tabac entre les plants de betterave ; à l’heure de la récolte, il faut enfiler les feuilles et les étendre  au grenier pour y être séchées, puis on passe chez le « spécialiste » pour le couper en fines lamelles ; la fumée est infecte. 

Les cultivateurs qui héritent d’une Mahlkarte (carte pour moudre le blé) se rendent à Oermingen au moulin Jacob pour transformer le blé en farine. L’orge est beaucoup utilisée pour préparer la soupe.

L’obsession du ravitaillement ajoutée à la pénurie sans cesse grandissante des produits de première nécessité  plonge les concitoyens dans un profond désarroi. La vérification des papiers dans les gares ou dans les villes devient monnaie courante. Une opinion négative s’installe progressivement. Les problèmes de la vie quotidienne devenue si contraignante avec les interdits mis en place détournent les villageois de toute sympathie pour les autorités allemandes. La résistance passive s’enracine.

 

 

Durant la période de reconstruction (appelée Wiederaufbau), les contremaîtres (Polier) de l’entreprise Hasselt dirigent de main de maître la gent masculine du village. 

L’arasement des maisons bombardées par l’artillerie allemande le 12 mai 1940, la réfection des logis vandalisés par la soldatesque française, l’érection de nouvelles habitations et même la construction d’une ferme-modèle suivent le cours de la vie. Les Allemands jouent les grands seigneurs, viennent en aide aux familles et participent à la remise en route des trains de culture (semis, chevaux, tracteur).

Mais parallèlement à ces travaux de restauration, les nouveaux « propriétaires » allemands s’activent dans les mines pour dénoyer les galeries de façon à pouvoir faire retravailler très vite les mineurs quelque peu désœuvrés. 

Comme on le constate, les activités ne manquent pas. Et sur les photos explicites, l’on peut voir nos villageois s’affairer sur le ballast, reprendre l’activité minière ou rester en admiration devant un tracteur dernier cri ! 

 

Les étapes de la germanisation à Farébersviller et dans les environs

 

L’instauration de la Muttersprache :

Un index de nouveaux noms de communes est instauré ; ainsi Farébersviller, Henriville, Seingbouse et Théding deviendront respectivement Pfarrebersweiler, Herrschweiler, Sengbusch und Thedingen dès l’automne 1940. 

La germanisation des prénoms est effective dès le 28. 09.1940.

Jean = Johann ; Barbe = Barbara ; Théophile = Gottlieb ; Yvette = Irmgard, Geneviève = Guènovéfa 

A proscrire Josette = Schosette ou Gaston = Gas Ton (gaz + terre cuite) !

Le registre de l’état-civil est tenu en allemand à partir du 1er octobre 1940.

Houselstein = Huselstein, Huguette =  Huglinde !

 

L’allemand est imposé comme langue judiciaire.

Le prêche des curés est interdit en français à partir du 19.11.1940. Les enseignants ont droit à une Umschulung.

L’enseignement dans les écoles est dispensé exclusivement en allemand (ordonnance du 14 février 1941). 

Le journal National Sozialistische Zeitung Westmark remplace désormais Le Républicain Lorrain.

 

Des affiches de propagande hostiles à la France sont éditées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Colonisation par les Siedler (colons allemands)

 


A Pfarrebersweiler, fin janvier 1943, le chef des Siedler s’appelle Blass Franz. 

Cet Oberscharführer va être secondé par les chefs de famille suivants venus du Buchenland : Scheller, Wittal Ludwig, Bessaï Guimpro, Bessaï Otto, Engel Johann. 

Ces sympathisants importés  affichent un loyalisme déférent au régime bienfaiteur. 

Il faut se méfier de ces colons ! 

La maîtresse d’école aura quelques ennuis avec ces élèves fanatisés qui lui reprochent chaque matin d’oublier le salut hitlérien en classe. 

Sans gêne, ces envahisseurs d’un genre nouveau s’installent dans les maisons laissées vides par les familles déportées dans les Sudètes.

La famille Wittal occupera la maison de Kleinhentz Jean-Nicolas.

Les nouveaux colonisateurs se partagent le ban communal en un remembrement arbitraire. Forts de leurs droits, ils prennent la part du lion et s’arrogent les meilleurs champs au sol arable (Witzboden), les larges prairies étales et les parcs à bestiaux déjà aménagés. La ferme Groutsch ne trouve pas preneur, sans doute à cause de la forte déclivité de son domaine étalé sur les versants.

Des chevaux sont réservés et élevés par ces Bauer ; par contre, les paysans autochtones se voient attribuer des terrains morcelés ou perdus en périphérie. Près du hangar installé sur la nouvelle place du village remblayée par les gravats de démolition, se trouve l’aire de battage où s’active la batteuse à vapeur. 

 

L’embrigadement dans les organismes :

 

Le nazisme mobilise et demande un effort collectif. La Volksgemeindschaft, c’est l’unité de race mêlée à une communauté populaire où l’on demande de faire acte d’allégeance au Reich et de jurer fidélité au Führer.

 

Malgré la propagande insistante des nazis, les gens de Farébersviller refuseront en très grande majorité l’adhésion aux diverses associations telles que : 

- la N.S.V (Ligue national-socialiste pour le bien-être du peuple qui organise des secours tels les Winterhilfe et le Hilfsdienst,

- la Hitlerjugend (prononcez H.J = Ha iotte) qui accueille des jeunes gens de 14 à 18 ans dont le but est de former des corps endurants et des esprits disciplinés, totalement dévoués. La H.J. connut un fiasco complet à Farébersviller.

- la N.S.K.K. qui est une sorte d’Automobile-Club.

- la B.D.M. qui s’adresse aux adolescentes.

- la NSV qui est la Solidarité national-socialiste,

- la DAF qui est le front allemand du travail,

 

 Comme on le constate, la toile d’araignée nazie tissée autour de la population mosellane cherche à engluer dans ses fils doctrinaires ces nouveaux citoyens de rapine, ces Beutedeutschen de seconde catégorie. Les affiches, la presse, les discours concourent à encenser le régime et à vanter les mérites du National-Sozialismus. 

Malgré cette mise au pas cadencée, l’amour de la patrie française garde le dessus et beaucoup de nos concitoyens pâtiront de cette francophilie contraire aux idéaux germains.

 

Le rationnement : 

 

Le pays est soumis à un rationnement draconien. Il faut nourrir les troupes d’occupation et en même temps expédier les productions agricoles en Allemagne. En 1943, un adulte ne perçoit que 350 gr de pain par jour, 120 gr de viande par semaine, 50 gr de fromage hebdomadaire, 1 litre de vin par décade, 310 gr de matières grasses (dont 150 gr de beurre) par mois, une livre de sucre par mois, 50 kg de pommes de terre pour le semestre hivernal. 

Pas de lait, ni de riz, ni de chocolat ! On exige des exploitants agricoles une surproduction de récoltes, les pri-sonniers serbes et croates étant là pour doper le rendement des cultures.

 

Les sanctions :

 

Les temps sont révolus où l’on pouvait s’exclure du travail pour vivre à la française ! Une mise au pas (expulsion des familles francophones, proscription du dialecte, peur des Konzentrationslager tel celui de Dachau, pressions idéologiques, prédominance de l’appareil policier nazi comme le Sicherheitsdienst et la Gestapo),  va progressivement s’installer en Moselle qui est rattachée d’autorité à la Sarre et au Palatinat pour former le Gau Westmark  gouverné par Bürckel le Gauleiter, un fanatique nazi de la 1ère heure.

 Autour de l’Ortsgruppenleiter Müller, et devant la pancarte du nom du village germanisé, la jeunesse  n’a pas le choix et sera enrôlée dans le R.A.D (Reichsarbeitsdienst = service du travail obligatoire au Reich).

 

 

 

 

 

Par décret en date du 29 août 1942, le Gauleiter Bürckel attribua la nationalité allemande aux Lorrains et édicta l’incorporation de force dans la Wehrmacht des jeunes Mosellans. 

Dès le lendemain, des milliers chefs de famille mosellans se rendirent à leur mairie pour y proclamer leur atta-chement à la patrie française et demandèrent leur expulsion en France, ce que Bürckel refusa par la suite devant le grand nombre de demandes. 

En application de ce décret, tous les Lorrains âgés de 17 à 31 ans devaient porter l’uniforme. 

L’attitude outrancière des villageois affichant ostensiblement leurs convictions tricolores indisposa tellement le Kreisleiter Hahn de Saint-Avold que celui-ci s’écria en décembre 1942 : « Je vais faire un exemple des gens de Farébersviller et les envoyer en déportation ! ».