Muller Amélienée Houllé (dite Mélie)

Evacuation

Débarqués du train et ramenés à Bonnes, nous voilà rassemblés sur la grande place.

Nos vêtements étaient fripés ; les visages enduits de suie produite par la fumée de la locomotive tout au long de nos huit jours de « promenade » exprimaient appréhension et peur du lendemain. Le premier jour, les Bonnois ne nous ont pas regardés car nous avions franchement l’air de bohémiens. Les familles furent réparties. Je me retrouvais pour quelque temps avec la famille Wagner Nickel et ma sœur Antoinette entourée des siens. Je partis peu après avec mon mari Eugène à Montceau-les-Mines où il retrouva son métier de forgeron.

Nous dormions tous en rang d’oignons dans une cave recouverte de paille. Les souris infestaient les lieux. Pour les attraper, Nickel mit au point un système ingénieux : avec l’aide d’une ficelle il emprisonna les quatre pieds de la table renversée et hissée au plafond, puis il lâchait à chaque fois la cordelette lorsqu’un bruissement se faisait entendre.

Déportation

Comme nous avions refusé de signer la carte d’intégration, mon mari et moi partîmes ce 18 janvier avec d’autres familles vers les Sudètes. « Préparez-vous, emmenez le strict minimum ! ». Nous fûmes convoyés sous bonne escorte vers le bus puis en train vers l’inconnu. Où allions-nous atterrir ?

Sous une bourrasque de neige, par un ciel gris et un temps froid, il nous fallut porter les valises. Nous étions frigorifiés en marchant dans les congères. Nous ne savions pas ce qui allait nous arriver. Maringer Joseph s’enquit sur notre destination : « Irons-nous dans des baraques ? ». Le cocher polonais lui dit en souriant : « Schloss und dicke Mauer in Wartenberg an der Roll, » (un grand château entouré d’énormes murs).

- Arschloch ! (mot grossier) répondit l’un d’entre nous en signe de provocation.


Cette forteresse était bien incommode. La paille nous servait de tapis. Les familles Maringer, Spitz Marichen, Sophie Mertz, Geisler et moi-même avons hérité d’une grande salle commune chauffée par un poêle. (M. Mertz, mon mari Eugène ainsi que d’autres ouvriers travaillaient à l’extérieur). Les repas étaient frugaux : pommes de terre, fromage blanc aux matières grasses envolées, de la helle Suppe (soupe claire). Heureusement que les paquets expédiés par les familles restées à Farébersviller amélioraient de temps en temps l’ordinaire.

J’étais affectée dans un atelier où l’on fabriquait et cousait les boudins des canots pneumatiques destinés à la Kriegsmarine. Mon mari travaillait dur à la forge.

Un dimanche, après la messe, son patron nous fit venir chez lui, on se demandait d’ailleurs pourquoi. Il ne nous proposa même pas un verre d’eau.

Houllé’s Marie (Mme Kleinhentz Marie, née Chenot) avait son franc-parler et n’hésita pas à prendre à partie le Lagerführer Peterle. Sous sa bonhomie, le directeur encaissait ses réparties acerbes. Ainsi, Marie qui préparait le Buchtel (gâteau) lui fit remarquer que les pâtisseries étaient ici bien pâles car « chez nous en Lorraine, c’est avec des oeufs - zing, zang - cassés dans la farine qu’on leur redonne des couleurs ! ».

Avec nos économies faites sur les salaires, nous partions hamstern (demander des oeufs, du lait, du beurre, du lard aux fermiers). Plus tard (le 24 juin 1944), nous fûmes convoyés à Reichstadt. Je devins ouvrière chargée de fabriquer les décors de Noël (Christbaumschmuck). Comme mes yeux fatigués ne me permettaient plus un travail minutieux où il fallait enrouler minutieusement la ouate pour en faire des mini-fuseaux blancs destinés à « enguirlander » le sapin, je devins donc femme de ménage. Je travaillais à mon rythme, peu pressée et passant la journée assise à faire la causette. Eugène eut des ennuis d’estomac. Il fut bien soigné. Les premiers Russes qui nous libérèrent s’en prirent à nos boucles d’oreilles et à nos bagues. « Dépouiller » ils savaient le faire, « épouiller » moins bien, car nous les gardâmes encore quelques temps.