Wilmouth Pierre de Farschviller
« J’avais opté pour un départ vers la France, refusant l’adhésion à la Volksgemeindschaft. J’en expliquais les raisons en mairie de Farschviller. Etant célibataire et majeur, je ne pouvais pas inquiéter ma famille du fait de ma décision. Mais devant les nombreuses aspirations des candidats pour la France de l’Intérieur, Bürckel fit volte-face et préféra envoyer les partants vers la Silésie. Le 11 janvier 1943, un bus nous emmena à Saint-Avold. La salle était noire de monde : on y trouvait des gens de Freyming, de Farébersviller, de Seingbouse…
Le soir, vers 20 heures, départ vers Neunkirchen où on promit aux mineurs célibataires qu’ils pourraient rentrer toutes les quinzaines. Nous avons travaillé là-bas environ trois semaines. Les familles qui désiraient avoir de nos nouvelles nous parlaient devant les barbelés du camp : il leur était interdit d’y pénétrer. Je travaillais au puits Hermine dans des conditions difficiles : j’étais couché pour pelleter, les galeries ne permettant pas la position debout. Matin et soir, nous étions ramenés sous bonne escorte au camp par des S.S..
Un jour, l’on nous dit que nous allions partir, mais sans nous préciser la destination. Revenus en gare de Saint-Avold, sous surveillance armée (chaque wagon était gardé par deux gendarmes), nous atterrîmes à Leubus en Silésie. Notre lieu de détention était un immense couvent ; la toiture couvrait 9 acres. Les murailles dépassaient les six mètres d’épaisseur à la base.
Plus de 2 000 personnes y séjournaient, notamment des Messins, des Thionvillois.
Les célibataires furent tous invités à rejoindre la mine de Goldberg. C’est là que je connus Jean Kleinhentz de Farébersviller.Les familles ne pouvaient pas y être accueillies étant donné qu’il n’y avait pas d’hébergement approprié pour elles. Un joyeux drille, dès notre arrivée sur les lieux, l’œil en malice, osa dire au commandant : « Nous allons nous cotiser pour acheter votre mine, mais où se trouve-t-elle ? ». Il est vrai qu’elle ne payait pas de mine ! On y descendait en plan incliné sur une distance d’environ 200 m, pour atteindre les galeries. Sur une tonne de minerai, on extrayait environ 10 % de cuivre.
Nous émettions des doutes sur la nature exacte du minerai car nous n’avions pas besoin de travailler tous les dimanches comme c’était le cas dans d’autres mines. Voulait-on nous préserver de radiations ou d’autres émanations ? Alors était-ce de la pechblende ? ou bien un minerai analogue destiné à fabriquer de l’uranium ?
Trois postes se relayaient. Un mineur de fond gagnait 6-7 R.M. par jour sur lesquels on lui en prélevait la moitié pour rembourser la cantine. Le travail était dur et dangereux. Ainsi, il y eut un éboulement qui causa la mort de cinq hommes dont un Mosellan. De subites montées d’eau survenaient lorsqu’on perçait une poche aquatique.
Il fallait produire du rendement et surtout éviter de parler contre le régime.
On procédait par forage et par tirs ; le filon était véhiculé par bande transporteuse et ramené au jour.
On s’éclairait à la lampe au carbure ; on pouvait fumer dans les galeries. Les paillasses étaient infestées de punaises qui nous suivirent derechef avec armes et bagages dans nos nouvelles baraques. 850 mineurs s’activaient sous terre. Nous avions peu de contact avec la population civile. Il nous arrivait parfois d’aller dans la ville de Goldberg, grande comme Sarreguemines. Et c’est là qu’on apprit que les Allemands du camp avaient fait croire en ville que nous étions des Fliegerbeschädigten, des civils, victimes de bombardements aériens !
A Goldberg, trois de nos camarades mosellans furent entendus. Les autorités voulurent connaître les raisons de leur refus d’adhérer à la D.V.G. Ils ne revinrent plus vivants au pays. Je me rappelle encore leur avoir fourni des cigarettes. Cette arrestation aurait très bien pu concerner l’un ou l’autre d’entre nous. J’avais dans cette optique préparé ma ligne de défense, la justifiant comme soldat français ayant servi fidèlement un drapeau et ne pouvant l’abjurer : ce serait être traître à sa patrie que de renier son honneur militaire !
Le manger se résumait toujours à la même rengaine : navets, pommes de terre comptées, (tant pis pour celui qui héritait d’une pourrie), du Pumpernickel, un pain rassis, ceci sans doute pour éviter d’en trop manger !
Parfois, on recevait un colis maternel ; au début, les fouilleurs se sucraient royalement, nous laissant les miettes. Ils devinrent plus humains à la fin, lors des contrôles.
Devant la menace de l’Armée rouge qui s’avançait en Prusse Orientale, nous fûmes réquisitionnés pour aller creuser des tranchées censées arrêter la percée ennemie. De larges fossés, profonds de deux mètres serpentaient devant le fleuve de l’Oder; des barrages anti-chars virent également le jour.
Nous dormions dans les greniers ou dans les écoles.
Des femmes âgées de 18 à 45 ans furent réquisitionnées pour confectionner (avec les branches souples des saules) des gabions en bois destinés à consolider les tranchées qui commençaient à se déliter sous la pluie.
Des saules, des peupliers furent abattus ; leurs troncs servirent de poteaux de soutènement enfoncés le long des tranchées. Nous travaillâmes quelque sept mois dans le secteur.
De vastes domaines s’étendaient dans la région. Il nous arrivait de dévaliser les silos de pommes de terre pour nous rassasier. L’Oder causa la mort de neuf personnes, son cours était rapide et traître à cause des remous et des trous profonds. Comble de malheur, la crue qui déborda remplit nos fossés anti-chars ! Et l’hiver rigoureux solidifia l’inondation qui nivela nos tranchées. On avait travaillé pour le roi de Prusse !
Devant la menace russe, un responsable haut-silésien décida de nous ramener au camp de Goldberg ; nous aurions préféré attendre nos Alliés, les Russes. Il ne l’entendit pas de cette oreille. Des signes avant-coureurs de panique se manifestèrent lorsque les Soviétiques prirent la ville de Goldberg, située non loin de notre mine de cuivre. On se cacha dans les galeries supérieures quelque temps, mais les troupes de l’Armée Rouge faisaient du sur-place devant la farouche résistance allemande. Des S.S. nous cueillirent et nous jetèrent sur les routes de l’exode. Trajets à pied, parcours en charrette et train trop lent nous ramenèrent à Reichenberg. Etant restés à neuf gars, encore jeunes donc incorporables, nous fûmes ramenés par les gendarmes à collier à la Schupo.
La police nous emmena auprès d’un architecte qui nous confia l’aménagement d’abris et de tunnels de protection pour les civils.
Par la suite, les Russes investirent Reichenberg qui avait été déclarée ville ouverte. Des fanatiques du Volksturm livrèrent des barouds d’honneur que les tanks T.34 liquidèrent sans trop de problèmes. Les troupes d’assaut mongoles se livrèrent aux scènes de pillage et de viol. Les propriétaires de maisons nous proposaient leur lit, préférant se cacher pour échapper à ces monstres. Les familles mosellanes se perdirent de vue ; c’était souvent le chacun pour soi.
A Pilsen, en Tchécoslovaquie, les Américains nous rapatrièrent par camions (nous étions à 45 sur la benne !) jusqu’à Würzbourg…