Farébersviller, le 9 juillet l945
Cher Cousin,
Tu me demandes des nouvelles de la bataille de Farébersviller. C’était dur. Nous étions dans la cave. Papa, maman, mon frère Jean-Louis, ma soeur Marie et moi-même, et puis Octavie et son mari.
C’était le 29 novembre, à trois heures du matin, nous entendons frapper à la porte arrière de la maison. Mon père va en haut et deux SS allemands rentrent par la fenêtre.
Ils disent : « les Américains sont sur l’autre route et nous devons aller sur le toit pour tirer ». Nous sommes tous allés en haut pour leur dire qu’ils ne devaient pas tirer. Car, si les Américains voient cela, ils mettent la maison en feu. Alors, les Allemands dirent : « Donnez-nous à manger, nous n’avons rien reçu depuis deux jours, et nous ne tirerons pas ». Nous leur avons donné des fruits pour qu’ils ne tirent pas. Ils sont partis. Après une demi-heure, ils sont revenus avec leurs officiers. Ceux-ci ont dit: « Allez sur le toit avec les fusils, et si vous voyez quelque chose qui remue, tirez ! Si les Américains tirent sur vous, descendez vite dans la chambre de devant et tirez par les fenêtres ! ». Que faire ? Nous comprenions tout, nous étions figés de terreur. Nous sommes allés dans la cave et nous nous mettions à prier. Dix minutes après, cela a commencé. Les Allemands ont tiré deux, trois coups. Les Américains lançaient des grenades. Les Allemands se sont sauvés alors par derrière, dans les vergers.
La canonnade durait depuis cinq heures du matin jusqu’à trois heures de l’après-midi. Une fois, ils ont arrêté quelques minutes. Mon père est vite allé voir à l’étable ce que faisaient les vaches. Pendant qu’il était en haut, la canonnade a repris. Il est vite revenu et a dit : « Finette, la vache est morte ». Bientôt, la maison flambait. A trois heures de l’après-midi, nous ne pouvions plus rester dans la cave. Mon père et monsieur Kosuta (se prononce Kojuta en slovène, Ndr) ont pris une pioche et ils ont dégagé l’ouverture arrière de la cave. Nous prenions vite nos valises et les jetions dehors, derrière la maison, parce que nous avions peur que la cave brûle aussi. Nous nous couchions derrière la maison. Il pleuvait fort. Mon père a pris un torchon blanc et faisait signe aux Américains en criant « Civils French » ! Les Américains entendaient et ils criaient aussi. Nous avons vite couru chez eux, mais nous devions jeter nos valises par terre. Les Américains nous emmenaient chez mon ami Julien Muller. Mais mon pauvre père et monsieur Kosuta devaient partir avec eux, ils les prenaient pour des espions. Malheureusement, les Américains ne sont pas restés ce jour-là. Ils sont de nouveau partis. Après huit jours, ils ont fait une forte contre-attaque et ils ont repoussé les Allemands jusque Gaubiving. Mon père et monsieur Kosuta sont revenus deux jours après la Libération.
Dans la cave de Julien, il ne faisait pas bon : c’était une vraie ratière. Nous y étions plus de quinze jours, plus morts que vifs. Enfin, nous sommes redevenus des écoliers français, et nous sommes fiers, Julien et moi, de pouvoir passer notre Certificat d’Etudes.
Cher cousin, je t’envoie de la Lorraine libérée un bon baiser.
Marcel Bour, 14 ans