Farébersviller, le 9 juillet 1945
Cher Parrain,
Vous voulez savoir où nous étions quand notre maison a brûlé ? Je vais vous raconter tout. Maman, avec mes frères Rémy et Roger était dans la cave de l’école. Papa, mon frère Emile et moi, nous sommes restés dans notre cave, car les Allemands cachés dans le village, pillaient les maisons abandonnées.
Le 28 novembre 1944, les Américains arrivent et occupent notre maison. Ils tirent par toutes les ouvertures sur les Allemands retranchés sur la ligne de chemin de fer. Vers neuf heures et demie, le soir, les Allemands reviennent avec trois tanks. Je me demande encore aujourd’hui comment ils pouvaient passer, car tous les ponts avaient sauté. Ils venaient juste devant notre maison et tiraient dedans.
Nous étions dans la cave avec vingt Américains, dont un grièvement blessé. Mon père nous tenait embrassés et nous priions, pour nous préparer à la mort. Plusieurs fois, nous voulions sortir, mais les soldats ne le permettaient pas. L’incendie devenait toujours plus fort, l’escalier de la cave brûlait, le plafond au-dessus de nous s’effondrait. Alors, nous tenions tous les trois le tête dehors, par les petites fenêtres de la cave. Nous n’entendions plus les coups de canon qui venaient toujours dans la maison.
En sortant, je remarquais les vaches de Kalfous, qui se tordaient de douleur dans les flammes. Les nôtres, à côté, ne bougeaient déjà plus. Le gros porc, les poules et les lapins avaient aussi cessé de vivre. Nous voulions courir en haut du village. Mais un soldat allemand nous criait en nous barrant la route avec sa baïonnette : « Halte, où allez-vous ?
- Près de notre maman, dans la cave de l’école.
- Impossible, les Américains sont là-haut ».
Nous prenons alors le petit chemin de la fontaine pour aller chez des amis à la sortie du village. Il fallait courir dans la pluie d’obus. Et maman, en apprenant que la maison avait été incendiée, nous croyait sous les décombres. Maintenant, nous habitons le premier étage d’une maison où il n’y a ni plancher, ni vitres. De l’Entr’Aide Française, nous avons reçu du papier transparent pour remplacer des vitres, et avec des caisses de munitions, nous avons fabriqué un escalier. Nous remercions le Bon Dieu et nos vaillants Libérateurs.
Cher parrain, je vous envoie un bon baiser.
Votre filleul, Marcel Geisler.