Madame Geisler Lydia, née Melling

 

1939 :  

Trois zouaves, juste après l’évacuation en Charente, furent surpris par mon père en train de cambrioler notre maison abandonnée. Mon père était mobilisé dans le secteur. Il ne dut son salut que pour s’être courageusement défendu contre ceux qui voulaient l’égorger. Il les dénonça. Les trois malfaiteurs furent publiquement châtiés devant lui.

 

Un mois avant la libération :

Cela devait être fin septembre 1944. J’étais chez ma marraine Madame Wagner rue des Moulins. Soudain deux S.S. frappèrent à la porte. « Nous cherchons des habits civils ; nous voulons déserter ! ». Les S.S. en effet, défilaient nombreux sur la route de Cocheren et nos deux tire-au-flanc s’étaient discrètement évaporés de la circulation. « S’il vous plaît » dirent-ils en m’implorant.  Je partis chez moi, en parlai à ma mère assez perplexe sur mon attitude. « Attention ma fille, tu vas avoir des ennuis avec ta gentillesse ! ». Albert mon frère étant disparu en Russie, je pris quelques habits qui lui appartenaient et je les filais aux deux candidats à la désertion. Ils partirent le soir. Arrêtés peu après, ils me dénoncèrent. L’un était de Sarre-Union et l’autre de Strasbourg. Soyez bons ! C’est ce qu’on appelle l’ingratitude au plus haut degré.

Le 4 novembre, voilà quatre armoires-à-glace qui débarquèrent chez nous. Quoi ! La Gestapo ! Elle hurlait à défoncer la porte d’entrée. Malgré la gravité de la situation, maman et ma sœur arrivèrent à faire disparaître la viande de cochon. « Vous avez aidé des déserteurs, suivez-nous ! ». Les brutes m’empoignèrent. Je criais, je hurlais, je me débattais. Ma mère courageuse reprit : « Des hommes de votre stature, grands et forts, vous n’avez pas honte de vous prendre à une fille de 15 ans, innocente ! ». L’une des brutes, pour nous impressionner, arracha le crucifix du mur et le piétina. Ma mère, hors d’elle, leur lança Julia dans les pattes. « Vous avez déjà mes trois garçons à la Wehmacht, tenez prenez encore les deux filles ! 

- Calmez-vous Mutter ! ».

Ils m’emmenèrent puis embarquèrent également ma marraine. La promenade dans leur Kubelwagen touchait au cauchemar. Sur la route de Farschviller, près de la forêt, ils firent des embardées, roulèrent vite dans les fossés en criant de méchanceté. « Tant pis si elles meurent écrasées ! Tant pis pour la mère et ses trois garçons ! ».

 

A Farschviller :

Nous étions terrorisées. Nous arrivâmes rue des Roses à Farschviller. L’attente commença. « Tu as intérêt à parler, sinon tu auras des Schläge ! (coups) ». Nous pleurions. A un moment donné, m’accrochant comme une liane à ma marraine, nous partîmes toutes les deux aux toilettes situées à l’extérieur. Une sentinelle armée nous accompagna. Vives comme l’éclair, au moment où ma tante ouvrit la porte des W.C., je bondis avec elle à l’intérieur et fermai la porte. Le garde hurlait dehors : « Ouvrez ou je défonce la porte. 

- Ne dis rien, tu n’as rien fait, tu ne sais rien ! » me dit ma tante dans un souffle.

Mon père arriva en soirée. Le Chef de la Gestapo prit le martinet. « Monsieur Melling, vous savez ce qui vous reste à faire ce soir ! Und sie Fraülein, eure 3 Brüder haben Ihnen das Leben gerettet ! Verschwinden Sie ! ». Pendant que je suivais en courant le vélo de mon père, je vis passer une traction noire emportant vers 23 heures les frères Lagrange, eux aussi dénoncés par ces deux déserteurs… charitables. Dès mon retour à la maison, je m’enfermais huit jours dans ma chambre, à double tour, craignant à nouveau l’arrivée de ces monstres noirs.

 

Juste avant la libération :

Du haut de notre balcon, nous avons envoyé, au cours d’un après-midi ensoleillé d’octobre, des saluts amicaux aux pilotes alliés que nous distinguions dans leurs cockpits. S’ils nous survolaient en rase-mottes à faire trembler le chêne près de la gare, c’est qu’ils distinguaient collés à la maison voisine des camions de la Wehrmacht.

Et bientôt, ce fut la sarabande sur le convoi. De nombreux tués et blessés gisaient alentour frappés par les balles de 12,7 mm.

Ce temps imprécis qui fuyait face à l’avance des Américains reste flou dans ma mémoire. Je me souviens avoir dû aller acheter le lait à Merlebach rue du Soleil, et partir prendre le pain à Farschviller. Notre boulanger ne pouvait plus faire ses livraisons. Au retour d’une commission, je me suis cachée derrière une haie en voyant apparaître au loin ces avions maraudeurs.

 

Vie dans notre cave :

En comptant bien, nous devions certains jours friser la trentaine de personnes présentes dans notre cave, pratiquement toute la rue des Moulins ! (famille Wagner Robert -5 personnes ; Koch - 4 personnes ; Houllé Peter -3 personnes ; Formery Nicolas - 3 personnes, plus les familles Geisler et Houselstein).

Ma cousine dormait sur le charbon, moi je disposais d’une alcôve noire sous l’escalier pour dormir.

Houllé Peter avait emmené une pioche avec lui pour, disait-il, s’en servir et percer le mur attenant à sa cave si jamais le feu prenait dans notre cave et ferait de nous des prisonniers sans issue de secours. Heureusement tout se passa sans trop de problèmes de cohabitation, le petit poêle  dans la cave débordait constamment de casseroles et poêles diverses. C’est mon père le premier qui aperçut les Américains, ils descendaient du talus vers le ruisseau et vinrent nous voir.

 

Combat de Farébersviller le 28 novembre en soirée :

La maison des Chenot (où se cachaient à la fois des civils et quelque vingt soldats US dont un blessé grave ) fut copieusement arrosée d’obus tirés par trois panzers. Les vaches dans la maison voisine (Kalfous) avaient déjà péri dans l’incendie. Le feu prenait maintenant dans la maison Chenot. Les vaches meuglaient sous les morsures des flammes. Le vieux Chenot sortit au devant des Allemands. « Ne tirez plus, il n’y a que des civils ici !

- Lassen sie diesen Mann gehen, er hat uns gestern etwas zu essen gegeben ! » (laissez cet homme, il nous a donné à manger hier !).

(Je tire ce témoignage de la Famille Geisler qui était logée dans cette cave et qui vint nous rejoindre après ce terrible sinistre.)

 

Libération :

Je me souviens d’une péripétie amusante. Au cours d’une conversation faite entre officiers supérieurs dans notre maison, je laissais tomber cette phrase : « You talk about me now ? » (vous parlez à mon sujet maintenant ?).

 Ils me répondirent stupéfaits : « you understand what we have said ? » (vous comprenez ce que nous avons dit ?), et aussitôt ils fermèrent la porte pour débattre.

 

J’avais effectivement vite assimilé certaines phrases faciles à comprendre, car les boys américains aimaient s’entretenir avec les filles, surtout un nommé John Miller qui venait souvent me raconter des histoires parlées en anglais avec de grands gestes appuyés pour que j’en saisisse au mieux le sens.