A Farébersviller, on constate qu’après la Révolution, les paraphes des actes religieux ou notariés vont progressivement être écrits en lettres latines et le nombre de femmes sachant signer va en augmentant. L’enseignement se donnait désormais en français sur les bancs de l’école, mais le patois, langage routinier, restait la langue véhiculée et prisée par le commun des mortels.
C’est l’administration prussienne qui, à l’Annexion de 1871 introduisit les lois allemandes (rédaction des actes d’état-civil et enseignement exclusif en allemand). Des mères de famille, nées avant 1860, qui avaient été à l’école française, pouvaient encore comprendre les discussions de leurs petits-enfants nés après 1918, au retour de la Moselle dans le giron français. Edouard Bled, de passage à Farébersviller, constate le prodige : « Au début de décembre 1918, un détachement partit pour la Lorraine. Je vis Metz et sa gare monumentale….
Nous séjournâmes quelques semaines à Farébersviller, long village-rue, proche de Forbach. Bien que la langue usuelle fût un dialecte germanique, la plupart parlaient français. Pendant la domination allemande, elle s’était conservée. Un peuple qui garde son langage ne peut être asservi, il garde l’espérance.
J’avais rendu visite au vieux curé qui remplaçait l’instituteur allemand. Je l’aidais de temps à autre à faire la classe. Parfois, à la sortie du soir, avec les plus grands élèves, nous organisions de furieux combats de boules de neige. Je n’avais pas vingt ans….. » (Edouard Bled, Mes écoles).
Un de mes concitoyens, né en 1911, Lacroix Julien, est récemment décédé. J’ai par hasard appris en discutant avec sa veuve qu’il se souvenait vaguement de quelques chants bien simples qu’on leur avait appris dès leur entrée au primaire.
On ? la dame n’a pas idée de l’enseignant. On peut supposer, si d’aventure Edouard Bled avait quelque peu professé dans cette école, qu’il a bien pu leur apprendre la version française du « O Tannenbaum » sachant que les gamins découvraient une langue nouvelle qui leur échappait étant donné que les écoles du Kaiser, surtout dans le Reichsland Elsass-Lothringen, étaient soumises stricto sensu à la bonne Goethe Sprache !
Les animaux sur gravure étaient encore mystérieux, à part le montreur d’ours qui venait une fois par lustre égayer son auditoire. Le Cameroun, le Tanganyika et l’Angola étant des possessions coloniales allemandes, les contes africains sur le rhinocéros et autres animaux de la savane ont pu faire rêver les têtes blondes. La carte de France a repris ses couleurs d’origine de 1870 ! J’imagine Bled Edouard dans son habit militaire, bleu horizon, ceci pour rappeler la présence à nouveau française du département.
Ma mère née en 1922 m’expliquait que les gendarmes à cheval étaient impressionnants avec leur moustache de croque-mitaines ! D’ailleurs, le grand-père a pris une amende carabinée parce que son chien lui ramenait trop souvent de la gent lièvre, ce qui n’avait pas échappé à la maréchaussée, en goguette au village, et qui n’eut plus qu’à pister la brave bête ! Mon arrière grand-mère qui avait perdu trois fils pendant la guerre eut quelques soucis lorsque la gendarmerie s’enquit en 1919 des nouvelles de son fils aîné Gustave (tombé dès septembre 1914 dans les Ardennes) réputé déserteur parce qu’il avait abandonné en 1913 les bataillons d’Afrique où il s’était engagé, revenant du port de Marseille comme un pauvre vagabond. Traverser la France n’a pas dû être pour lui de tout repos !
On ne décorait pas la classe avec le sapin, dixit les anciens. Sa place était à l’église, à côté de la crèche. La messe de minuit avait lieu comme son nom l’indique à minuit ! Cette nuit-là, les vaches avaient elles aussi droit à une brassée de fourrage, leur cadeau de Noël ! Ce qui prouve aussi l’amour qu’on attachait à son cheptel. Quant aux mioches, leurs seules friandises reçues, à côté de l’inévitable correction du Knecht Rupprecht étaient une orange, des pommes bien fripées à cette période de l’année et des noix (versions confirmées par de nombreux témoignages). Durs moments à passer à l’école où le Schulmeister était de connivence avec le Père Fouettard qui lui réglait ses comptes par verges interposées. Dieu sait pourtant que les élèves étaient bien disciplinés et dociles, s’occupant des tâches matérielles. Une punition mémorable consistait à passer la journée dans la cave noire sous l’école où un magistral coup de pied au derrière avait envoyé l’âne bipède ! Les parents, bien sûr, apportaient également leur correction, honteux que leur rejeton ne se soit pas montré à la hauteur de l’exercice demandé.
« Marie W. du dummi Gans !» n’hésitait pas à dire la maîtresse pour fustiger les lacunes de son élève qu’elle comparait à longueur de journée à une oie stupide et niaise ! Pauvre gamine marquée par les remontrances de sa maîtresse et reprises en choeur par ses camarades déchaînées dans la cour.
Une façon simple d’éradiquer l’onychophagie consistait à tremper les ongles du coupable dans l’encrier (version véridique !). Les temps ont bien changé. Rassurez-vous, ce n’est pas au pédagogue du Bled que je pense, mais à un certain Heymes, une terreur d’enseignant qui a marqué les esprits !