Si Xavier Blum a évoqué ce thème, le livre d'Emile Hilt "Farébersviller hier et aujourd'hui" a servi également de support pour décrire le scolairisation à l'allemande vécue par les jeunes Farébersvillois durant l'Annexion.
Si l’on se réfère à la situation des écoles dites primaires à la veille de la révolution, la région Alsace-Lorraine est la mieux pourvue ; presque toutes les paroisses de l’Est de la France possèdent leur école.
Avant 1600, il y eut déjà une véritable lutte occulte diligentée par le duc de Lorraine, sous-couvert du roi de France, pour faire reculer la barrière linguistique au profit du français. C’est partiellement dans ce but que furent créés les villages de Lachambre ((1585), Merlebach (1590), Freyming (1602) Henriville (1608), Valette (1609) et Porcelette (1611). Ces localités furent peuplées de préférence par des colons venus de l’intérieur et parlant français dans un zone de patois francique. Entre nous, les résultats ne furent pas probants, ce furent au contraire les expatriés qui assimilèrent petit à petit le dialecte germanique.
Le village de Farébersviller est officiellement français depuis 1766. Une ordonnance du 11 mars 1752, au temps de Stanislas Leszczynski, duc de Lorraine et beau-père de Louis XV, précisait que les maîtres d’école devaient enseigner la langue et l’écriture française aux enfants du lieu, à peine de nullité de leurs traités. « Nous enjoignons au syndic d’y veiller et de nous informer sur ce qui se passera à ce sujet, pour en rendre compte à Monseigneur le Chancelier qui y donnera les ordres.» Les curés et vicaires résidents continuant à prêcher en francique pour se faire comprendre de leurs ouailles, les ecclésiastiques se firent rappeler à l’ordre par le bailli. Ce dernier insista aussi pour que les registres paroissiaux initialement écrits en latin fussent désormais tenus en français. Si l’on compulse les signatures des actes de décès, mariages et baptêmes à Farébersviller, force est de constater que seuls les hommes savaient signer leur nom, en lettres gothiques avec des prénoms allemands. Mais dans les cahiers de doléances de 1789, 31 signatures mâles en lettres cursives font apparaître un progrès en écriture. Dans les actes de mariage, rares étaient les femmes qui savaient signer, elles se contentaient d’apposer une croix, pour laquelle il était précisé que c’était la marque d’une telle. Les idées de la Révolution ayant fait leur chemin, celle de l’égalité à l’instruction amena les édiles à construire une double école filles et garçons dont les plans furent approuvés en conseil municipal le 2 mai 1845. Précisons qu’un arrêté du Préfet, suite à une demande de secours adressée à la Préfecture de Metz le 9 août 1845, accordera par la suite une aide de 1 800 francs. Ce n’est que le 27 février 1849 que parvint l’autorisation préfectorale d’exécuter les travaux. Le devis initial s’élevait à la somme globale 13 967,66 Francs. « Les tables et les bancs étaient tellement beaux que nous osions à peine y prendre place et nous asseoir » confiera une trisaïeule, première élève à l’ouverture de l’école des Filles. Sœur Schuller fut la première enseignante des Filles de 1850 à 1879.
Si l’on trouve trace de deux enseignants au 17ème siècle à Farébersviller (en 1618, Jacob, Scholmaistre et en 1631, Denis, Mestre d’escholle), Farébersviller eut son école de garçons dès 1723.
Si n’importe quel homme un peu instruit pouvait ouvrir une école primaire, encore fallait-il qu’il soit contrôlé par l’église catholique. Après examen de passage supervisé par le curé et les notables, le Schulmeister était lié par contrat dont plusieurs clauses apparaissent pour le moins singulières :
- connaître par cœur son catéchisme,
- porter des cheveux plus courts que le commun des laïcs,
- refuser d’entrer dans un cabaret, de danser, de jouer au violon et aux jeux de hasard, etc...
Toutes ces clauses avaient pour but d’assimiler plus ou moins le maître d’école laïque aux membres du clergé. La trilogie parfaite pour faire fonctionner correctement la vie municipale consistait à obtenir un partenariat sans failles entre curé, maire et enseignant.
Comme ce dernier était payé par les parents d’élèves qui ne voyaient pas toujours l’utilité d’envoyer leurs rejetons constamment à l’école en raison d’impératifs agricoles (récoltes, moisson, fenaison,..) le pauvre homme se devait d’avoir une polyvalence (bedeau, écrivain public) pour subvenir à son ménage assez proche de la misère. La paroisse intervenait en le gratifiant d’un pécule s’il entretenait les ornements religieux, sonnait les cloches pour annoncer les offices ou même les orages et s’il jouait de l’orgue. S’il rédigeait des actes municipaux et secondait le maire, la municipalité lui prodiguait un lopin de terre, le payait en produits naturels ou en petites pièces sonnantes et trébuchantes.
Sa fonction lui imposait de se pourvoir d’un logis à ses frais et d’y installer, toujours à ses frais, le mobilier scolaire ; curé et édiles ne s’en occupaient pas. Les élèves ramenaient du bois pour chauffer la pièce, vaquaient aux menus travaux de la maisonnée, allaient chercher quotidiennement, en aval de l’école, une quinzaine de seaux d’eau, à la source de la rue des Moulins. Monsieur Jean Chenot, charron, sut former sur le tas les garçons aux gestes de la vie pratique et scolaire dès la rentrée 1850. C’est ce qu’on appellerait de nos jours restaurer la dignité du travail manuel en lui redonnant toutes ses lettres de noblesse ! Le maître dispensait des cours d’écriture, de lecture et de calcul. Il savait user de la férule, méthode d’apprentissage originale et garantie de succès mais qui n’a plus cours, heureusement, aujourd’hui. A l’époque pré-révolutionnaire, un édit royal interdisait aux Meister de professer un magistère mixte. En effet, l’enseignement étant souvent individuel, l’enseignant instruisait à tour de rôle chacun de ses élèves, ce qui créait entre eux une entente qui pouvait devenir dangereuse avec le sexe dit faible.
Sur l’un des tableaux, une mère de famille aisée, la Dame De La Mothe, femme d’un encaisseur auprès du Fermier Général de Lorraine, chargé de récupérer gabelle et tailles diverses pour en avoir fait l’avance de fonds au Roi de France, suit anxieusement les progrès de son fils malade qui sera enterré plus tard à Farébersviller.
Curieuse comme toute maman qui se respecte, elle assiste en visiteuse attentive, tolérée au vu de son statut social, au déroulement de la leçon individuelle. Souvent, tandis que l’instituteur s’occupait d’un élève, les autres, non surveillés, jouaient à leur aise dans tous les coins de la classe jusqu’à ce qu’une volée de coups distribuée au hasard et quelques magistrales fessées rétablissent l’ordre. Pour l’anecdote, Luther assure avoir été épousseté jusqu’à quinze fois au cours d’une matinée alors qu’il était écolier, et Martin n’est pas une exception. N’allons pas jusqu’à prétendre que lesdits maîtres de Farèwaschwilla usaient du battoir de la lavandière ou de leurs pattes velues d’ours pour inculquer des savoirs ! En tout cas, une fois n’est pas coutume, les enfants paraissent plus attentifs que d’habitude, présence maternelle distinguée oblige. Certains élèves ont mis leurs plus beaux atours. Madame De La Mothe habitait la Moîtresse, maison de la gabelle, sise à côté de l’église Saint-Jean Baptiste ; la famille aisée disposait du Hofgarten (jardin du roy), du Hofetzel -parcelles prisées- et du lieu-dit, Ittersrey (contraction et déformation de Ritter, chevalier, Ittersrey, litt, rangée de champs à la disposition du chevalier). Quant au pédagogue, vieilli avant l’âge, il s’agit de Grimmer Philippe, né le 2 mai 1695. En 1720, il était déjà Schulmeister à Hombourg avant de venir enseigner à Farébersviller de 1723 à 1744, année de son décès.
L’école est lumineuse ; à cette époque Farébersviller était classée 2ème sur les 16 communes de la châtellenie de Hombourg-Haut. Ses carrières, ses fours à chaux et ses forêts lui permettaient un certain standing. Le duc de Lorraine, Henri, ordonna à son détriment, une distraction complète d’une partie importante de son ban pour créer Henriville. Mécontents de ce fait de prince, les villageois lésés interjetèrent appel. Justice, où es-tu ? Ils se virent prélever comme crime de lèse-majesté deux autres forêts du Baspich, rétrocédées à Seingbouse. La commune, la seule de l’arrondissement de Forbach, depuis cet arrêt ducal, n’a plus de forêt ! Les ressources en pâtiront et les cahiers de doléances écrits en 1788 reflètent bien l’indigence qui frappera les pauvres gens de l’époque. « Il y a bien 40 mesnages en ces lieux, qu’ils ont ny vaches ny aucune bestiaux faute de fourage. Le ban est très petit avecque grandes parties de montaignes pierreuses, cause que les eaux ont aussi amenés les meilleurs terrains des montaignes, une grande partie reste la friche à jamais. Toutes de preys secs cause que les habitans ne peuvent nourire leur bestiaux nécessaire à cultiver leur terres.... Le sesle serait très utile… cause qu’il est extremement chaire… L’on se plaintes de longues et frais exhorbitants de la justice qui entraînent la ruine de biens des familles... texto). Après la Révolution, les paraphes sont progressivement écrits en lettres latines et le nombre de femmes sachant signer va en augmentant. L’enseignement se donnait désormais en français sur les bancs de l’école, mais le patois, langage routinier, restait la langue véhiculée et prisée par le commun des mortels. C’est l’administration prussienne qui, à l’Annexion de 1871 introduisit les lois allemandes (rédaction des actes d’état-civil et enseignement exclusif en allemand). Des mères de famille, nées avant 1860, qui avaient été à l’école française, pouvaient encore comprendre les discussions de leurs petits-enfants nés après 1918, au retour de la Moselle dans le giron français. Edouard Bled, de passage à Farébersviller, constate le prodige : « Au début de décembre 1918, un détachement partit pour la Lorraine. Je vis Metz et sa gare monumentale….
Nous séjournâmes quelques semaines à Farébersviller, long village-rue, proche de Forbach. Bien que la langue usuelle fût un dialecte germanique, la plupart parlaient français. Pendant la domination allemande, elle s’était conservée. Un peuple qui garde son langage ne peut être asservi, il garde l’espérance.
J’avais rendu visite au vieux curé qui remplaçait l’instituteur allemand. Je l’aidais de temps à autre à faire la classe. Parfois, à la sortie du soir, avec les plus grands élèves, nous organisions de furieux combats de boules de neige. Je n’avais pas vingt ans….. » (Edouard Bled, Mes écoles).
Espérons qu’après ces tous ces avatars, un avenir d’expansion et de progrès puisse faire entrevoir à la ville de Farébersviller une modernité de bon aloi !
(tableaux peints par Laurent Kleinhentz)