Madame Adamy Denise, née Thirion
Quel horrible travail que d’aller schanzen ! surtout pour des filles. Chaussées de vieux pantalons et de bottes, nous devions, sous la surveillance de deux S.A. locaux, aménager des tranchées en zigzag qui permettaient à un combattant de s’y accroupir pour échapper aux balles. Ce creusement ingrat se faisait parfois sous la pluie et le froid. Nos pelles ne lâchaient pas l’argile coriace qu’il fallait extirper des hauteurs du Biehl, surplombant le cimetière. Nous rentrions trempées comme des sacs avec une belle fringale à midi. Ayant été réquisitionnées le dimanche de la fête patronale pour remplir notre rôle de terrassières, nous étions parties dans un mouvement d’humeur réclamer des chaussures pour pouvoir mieux arpenter le sol glaiseux. Une verte semonce nous renvoya à nos chers boyaux.
Bientôt, le bruit de la bataille se fit tous les jours plus distinct. La canonnade se rapprochait. Notre grande maison nous paraissant être une cible trop facile, il nous semblait vain de persister à y rester. Mon père Auguste, recherché après son périple risqué à travers l’Allemagne où il avait fui d’un camp de travail et qui venait à peine de réapparaître, emmena ses deux vaches chez M. Geisler Hänzie, un agriculteur, et c’est là qu’il fut très sérieusement blessé (cf. récit de ma belle-mère Rosa Thirion).
Nous étions logés dans la cave de l’école. Ma grand-tante, telle une mère poule, me gardait en sûreté ; je ne mis pas souvent le nez dehors.
Chaque matin, le curé Jung lisait sa messe devant une nombreuse assemblée regroupée à la cuisine du presbytère (si la situation le permettait) ou dans la cave lorsque les choses se compliquaient au dehors.
Le 4 décembre 1944, notre curé nous prédit que ce jour-là, les choses sérieuses allaient commencer. Et effectivement, lors de l’office, un déluge de feu s’abattit aux alentours, suivi du roulement incessant des tanks et des camions défilant sur la chaussée. Nous pûmes monter au grenier du presbytère et là, du chien-assis, observer la débandade des soldats allemands, reculant devant la masse grondante des véhicules.
Jour radieux où mon père put enfin être secouru alors que l’hémorragie s’était à nouveau manifestée. Un camion U.S. frappé de la Croix-Rouge l’emmena. Il put être sauvé in extremis.
En rentrant chez nous, quelle désolation ! Un toit à ciel ouvert et le reste dans un triste état ! Le salon, quelque peu épargné par les intempéries, nous servit d’unique pied-à-terre, local qui assura gîte et couvert à ma grand-tante, à ma belle-mère Rosa, à Justin, mon frère, et à moi-même. Chaque soir, nous barricadions les portes. La guerre n’était pas loin, Forbach constituait le front.