Madame Adamy Maïlé
Sous l’occupation :
D’après le slogan, le peuple devait travailler pour la mère-patrie. Das Volk muss für das Vaterland sorgen.
Les occasions ne manquèrent pas. Ainsi, nous fûmes employées pour rechercher et éliminer les doryphores. Lors de la recherche, Geisler Hänzie nous dit : (à Jeanne Muller et moi-même) : « Ecoutez, on va se planquer sous les arbres, je n’ai pas du tout envie de me payer une collecte de coléoptères, le Führer n’a qu’à se les accrocher au Brandenburger Tor ! ». Décidément, nous ne sentions pas concernés par cette mère-patrie là !
Malheur ! Le 12 janvier 1943, mon mari Emile dut partir travailler dans les mines allemandes pour avoir refusé la carte d’adhésion à l’intégration allemande (Volksgemeindschaft). En compagnie de Muller Eugène, il avait d’abord pensé à se cacher dans notre grenier. Il se ravisa pensant aux graves conséquences qu’il aurait encourues ou fait subir à sa famille. Je ne le revis plus pendant plus de deux ans.
Une semaine plus tard, le 18 janvier 1943, après la première rafle effectuée par la police secrète (Gestapo), les S.S. investirent le village dès 6 heures du matin. A coups de crosse, ils forcèrent les villageois endormis à prendre place dans les camions et bus affrétés pour leur déportation.
Nous habitions en retrait ; les S.S. n’étaient pas encore dans le secteur. Madame Marie Steinmetz se précipita chez moi : « Attention, ils viennent te chercher ! ». Je m’esquivai par la porte arrière, partis en trombe chez le grand-père qui habitait la rue des Moulins puis chez Formery François. « Tu n’as pas ta carte, ma chère, dans ce cas malheureusement, il faudra partir. »
Ayant envoyé le Opa (grand-père) en reconnaissance vérifier si la voie était libre je retournais au logis. Quelques instants après, deux hommes en noir, chapeau tyrolien avec plumet sur la tête, frappèrent à l’huis.
« Ecoutez, je suis malade et intransportable !
- Nous ne voulons pas le savoir, habillez-vous !
- Non, vous dis-je, appelez un docteur, je suis trop faible.
- D’accord, dans ce cas, je vais faire venir un Mititär Doktor ! ».
Aïe, cela se corsait ! J’allais être coincée. L’un des sbires, attendri par les cris épouvantables hurlés par mes deux enfants (Astrid et Roman), me concéda le droit d’effectuer une visite médicale (rapide) chez un praticien du secteur, en me faisant promettre, dès mon rétablissement, de rejoindre mon mari au plus vite. Le docteur Namur sut habilement établir un diagnostic pessimiste sur ma santé. Je ne fus plus inquiétée, bien que les S.S. soient revenus le lendemain chez le voisin Florian Adamy, pour s’enquérir de sa présence (il logeait à Farschviller).
Avant les combats :
Composition des familles séjournant dans la cave de M. Florian Adamy : la famille Gries (4 personnes) ; Schwartz Albert ; la Oma (grand-mère) ; la famille Adamy (3 personnes) et le vieux Etienne.
La cave avait été solidement étayée avec poutres et madriers. Les jeunes dormaient sur le charbon. Assise sur un sac de farine, la mémé calait son dos entre deux poutres.
Je faisais régulièrement la navette pour traire les vaches, ou retirer leur fumier que je propulsais contre la porte de l’écurie pour mieux la calfeutrer contre de possibles éclats d’obus. Puis je filais à la cuisine faire mijoter des gnédleu (quenelles de farine) ou d’autres plats rapides (bouillies, soupes...). Un matin, j’eus la désagréable surprise de constater qu’un gros éclat d’acier avait éventré le poêle. Je redoutais le mitraillage des avions US..
Notre toit étant troué comme une passoire, aussi insistais-je lourdement auprès des gradés allemands pour qu’ils expédient ailleurs une colonne de camions qu’ils avaient fait garer chez nous. Leur présence, quoique discrète (les véhicules surmontés de toiles de camouflage stationnaient en retrait de la route principale) n’échappait plus aux pilotes américains avertis. Les avions fureteurs planaient dans le ciel, tels des vautours sur leurs proies.
« Mon mari étant déporté, je suis une dame qui pourvoit seule à l’éducation de ses enfants et assure la gestion familiale, ne m’incendiez pas encore la maison à cause de vos véhicules ! ». Un officier les fit partir.
En revanche, un de leurs canons anti-chars resta installé dans un coin de notre cour.
Combats :
Les Américains investirent notre maison en ce 28 novembre 1944. Ils occultèrent les fenêtres donnant sur l’arrière du jardin car les Allemands n’étaient pas loin.
En s’aventurant vers le remblai de chemin de fer, ligne de résistance principale, deux fantassins U.S. furent tirés comme des lapins (ils ont été retrouvés morts à côté du ruisseau près de la maison Flauss Joseph). Je fus témoin de la scène.
Les S.S. les chargèrent sur le dos et bientôt, je les revis habillés en Américains ! « Ils ne reculent devant rien », pensais-je. Le plus incroyable, ce fut la razzia intrépide effectuée par un jeune S.S. sur toute la section des G.I.’s stationnée chez nous.
Il les tint en respect, bras levés et demanda à tous, à tour de rôle de se défausser de leurs objets : grenades, fusils, pistolets, jumelles tombèrent en grappes par terre. Fier de sa prouesse, l’intrépide S.S. au foulard rouge crut obtenir du café de ma part. « Je n’en ai pas moi-même ! » lui répondis-je. Pendant que les prisonniers étaient emmenés vers les lignes allemandes, je voyais brûler la maison Chenot (voir à ce sujet, le témoignage de Geisler Emile).
Séjour des Américains :
C’étaient de braves types, le cœur sur la main, toujours prêts à vous donner le superflu. Un sous-officier m’aida même un jour à sortir le fumier.
Nous nous régalions de crêpes d’œufs en poudre qui baignaient (c’est le cas de le dire) dans un bac d’huile. Au repas de midi, nous recevions notre ration de nourriture et moi, pour ne pas être en reste, je leur lavais les habits militaires. « Dans l’essence » me précisaient-ils. J’effectuais donc les trempages des effets militaires dans la Benzin, je les détrempais ensuite et les rinçais après à l’eau.