Adamy René

 

J’ai traversé cette période difficile avec le cœur léger de l’adolescent. Ma situation d’insoumis à l’incorporation a été surmontée sans trop d’inquiétude.

Le 9 mars 1942, un morceau de charbon acéré m’ayant éborgné, j’avais à cette époque été réformé pour invalidité évidente. Mais ce handicap n’empêcha pas l’autorité militaire de me convoquer pour la Wehrmacht.

Pour reconstituer ses armées défaites, prises dans la débâcle, Hitler décréta la levée en masse de tous les hommes de 16 à 60 ans.

Je fus donc convoqué le 15 octobre 1943 en gare de Saint-Avold pour l’incorporation, mais je n’avais aucunement l’intention de me présenter.  Ma future femme, Georgette, s’y rendit discrètement.

« Renatus Adamy ? Wo ist Renatus Adamy ? ».

 Le contrôleur inscrivit Abwesend (absent) sur le registre d’appel. J’avais au préalable aménagé une cache fantastique dans notre demeure  (maison de M. Lacroix Alphonse).

Notre cave était située à un niveau inférieur par rapport au sol de 1’écurie. Je creusais entre cet intervalle un abri; deux pierres descellées me permettaient l’accès au repaire. Je pouvais en cas d’alerte les remettre, parfaitement ajustées, à leur place. Mon père se chargeait de saupoudrer le coin de tout un amas hétéroclite de foin, de paille ou de planches diverses.  L’obscurité du coin parfaisait la cachette.


Mais diantre ! notre chien venait systématiquement flairer et fureter dans le secteur de ma cache. Ce n’était pas rassurant en cas de perquisition. Je partis donc une nuit vers les 1 ou 2 heures du matin, recouvert d’un sac pour qu’on ne me reconnaisse pas. Me faufilant dans la ruelle des maisons Chenot-Wendel et passant par l’arrière du Biehl, je frappais à la porte de ma sœur Lacroix Clotilde, hébergée chez sa belle-mère.

Les S.S. avaient investi le village de Théding le jour précédent, à la recherche de réfractaires.

La sœur d’un nommé Mayer (je ne suis plus sûr du nom) vint nous prévenir que Farébersviller allait être également quadrillé. Effectivement, ils arrivèrent et mon père, sûr de lui, leur dit :

«Allez-y, la maison vous est ouverte !».

Ils ne trouvèrent rien, et pour cause. Un S.A. local se rendit peu après leur passage chez ma sœur pour venir fouiner et s’enquérir de ma personne.

M’étant préparé au pire, je pouvais en cas d’alerte imprévue, prendre la poudre d’escampette en sautant par la fenêtre sur l’appentis et de là, dans le jardin. Je ne voulais cependant pas mettre la famille Lacroix en péril à cause de ma présence. Madame Lacroix, d’origine française, dont le fils Antoine avait été tué lors des combats du 14 juin 1940 à Cappel et à qui on avait dissimulé ma clandestinité, devait malgré tout s’en douter, car, lors d’un bombardement, alors que tous les occupants de la maison s’étaient lancés dans la cave, elle dit : « Clotilde, allez donc chercher votre frère ! ».

 Mon manège ne lui avait pas échappé. Tout bien pesé, je rejoignis finalement la maison paternelle et de là, après tout, je pouvais en cas de danger me diriger vers la cave rassurante des Wendel, sise en face de la nôtre.

 

Combats

Les fantassins américains avaient la gâchette facile. Le 28 novembre, au matin, ils occupèrent notre maison, installèrent sur les rebords des fenêtres leurs armes prêtes à tirer. Dès que nous sortions de la maison Wendel pour aller chez nous nourrir les bêtes installées de l’autre côté de la route, il fallait crier haut et fort : « Hello, French Civils ! ».

Nos boys furent fait prisonniers le soir du 28, n’osant pas répliquer à la furie déterminée des Allemands.

L’ancêtre de la famille, la mémé Goa, réprimanda les Allemands qui faisaient un tintamarre infernal dehors.

« Was suchen sie denn bei uns ? que cherchez-vous donc chez nous ? ».

La maison était ébranlée jusque dans ses fondations par les déflagrations des grenades et des obus. On entendit distinctement du dehors quelqu’un dire :

« So eben haben wir ein paar geschossen (nous venons à l’instant d’en descendre quelques-uns ».

 

Le 4 décembre, par excès de précaution, croyant sans doute encore l’Allemand chez nous, les G.I.’s aspergèrent de rafales d’armes automatiques notre porte d’entrée qui vola en éclats. Le garde-corps en bois en fut tout esquinté. Nous restâmes recroquevillés toute l’après-midi dans la cave, car des tireurs isolés s’activaient encore sur le Plinter.