Madame Adamy Georgette

 

Sous l’occupation :

Je partis en train à Francfort-sur-le-Main poster en secret une lettre écrite par mon frère aîné Victor venu en permission et qui cherchait un moyen habile de se soustraire à la Wehrmacht. Elle disait en substance : « Chers parents, es geht weiter, ich fahre bis an die Front... je continue à rouler vers le front ». Je faillis être piégée par le bombardement de la gare. Heureusement, je trouvais un bunker pour m’y abriter. Les bruits sourds des maisons qui s’écroulaient, l’effroi des enfants, le fracas des explosions au-dessus de nos têtes furent saisissants. La désolation, en revenant à l’air libre, m’apparut tragique : combien d’inconnus gisaient-ils sous les décombres ? Combien d’innocents payaient pour la mégalomanie d’un seul homme ? J’étais heureuse de revenir saine et sauve à la maison après avoir vécu de si près les horreurs d’un bombardement. Je réchappais de l’enfer comme Loth des villes de Sodome et Gomorrhe anéanties par le feu du ciel. Ayant pu mener à bien le stratagème de sa désertion, j’obtins de mon frère une belle récompense pour mon acte courageux.

Victor put se cacher à l’Hôpital avec un de ses cousins, dans un abri aménagé par un Malgré-Nous qui avait compté y revenir lors d’une permission et s’y planquer, mais il fut tué. Aussi, ses parents abrutis de chagrin voulurent-ils dans leur douleur soustraire ces deux jeunes à l’enrôlement forcé. Jamais les Allemands ne seraient venus perquisitionner dans la maison d’un soldat mort pour la patrie. Par contre, la Gestapo vint s’informer chez nous sur la disparition de mon frère. Mon père exhiba la dernière lettre écrite par son fils et datée de Francfort, gare des permissionnaires. « Je suis d’ailleurs inquiet pour mon fils, j’espère qu’il n’a pas été victime des bombardements », dit-il l’air angoissé. Les S.S. repartirent convaincus des propos fatalistes de mon père.

Un après-midi d’octobre 1944, nous étions occupés à déterrer les pommes de terre dans un champ situé vis-à-vis de la ferme Bruskir. Des avions U.S. surgirent et lâchèrent deux bombes sur la voie ferrée. Ils repassèrent plusieurs fois au-dessus de nos têtes ; craignant leurs rafales, je m’aplatis dans l’ornière et me recouvris de fanes de pommes de terre. Ils volaient si bas que le souffle des moteurs m’assourdissait. Nos deux vaches, affolées par le vacarme, tirèrent à hue et dia notre charrette jusqu’au village.

Les Américains

 

Je dormis une nuit dans le tunnel sous la voie ferrée, mais l’eau qui ruisselait continuellement en faisait un abri bien malsain. Je retrouvais la quiétude dans la cave des Melling (cf. déposition des sœurs Melling Lydia et Juliette). En rentrant dans notre maison, les G.I.’s canardèrent toutes les pièces. Des éclats de plâtre volèrent des plafonds.