Flauss Joseph, ( Malgré-Nous, déserteur)
Blessé grièvement près de Riga et rapatrié sanitaire, j’eus droit à un mois de congé de convalescence.
Je repartis pour la Wehrmacht, en allant ostensiblement tamponner ma feuille de route chez le chef de gare Muller. Mais, rapide comme l’éclair, dès que le train entra en gare de Farébersviller, je filai par un wagon vide pour sauter à contre-voie et disparaître dans la nature. La Gestapo avisée par ma plausible désertion, accepta les dires de Muller, qui affirma clairement m’avoir vu partir. Mes parents ne furent donc pas inquiétés et je me retrouvais planqué à Valmont.
Cette cache secrète était géniale : à travers la porte d’un vieux four, on s’introduisait dans l’excavation creusée sous le plancher les jambes en avant. Mon oncle, qui, la nuit, avait sorti patiemment seau de terre après seau de terre avec l’aide d’un réfractaire, avait eu cette bonne idée. Le plancher, risquant de vibrer, avait même été étayé. Cet abri disposait d’un lit ; je pouvais y lire grâce à un fil électrique ingénieusement faufilé par l’armoire murale. Un trou subtil dans un casier me permettait de respirer sans risque d’asphyxie.
Une connaissance de Henriville m’avait signalé que Farébersviller était libéré, mais que ma maison, d’après elle, était en piteux état. Je partis par les forêts rejoindre au plus vite mon domicile. Mal m’en prit en ce 26 décembre, car sur les hauteurs du Biehl, le chauffeur d’une Jeep s’arrêta et vérifia mon identité. Je n’avais pas de papiers, je bredouillais sans doute quelques phrases inintelligibles pour la patrouille qui m’embarqua. Dévalisé de mon argent par un enquêteur U.S. à Sarrebourg, j’atterris à Marseille au camp international d’internement. Devenu docker occasionnel et voulant par ailleurs m’engager, je reçus, parce que je prétendais avoir de la famille à Nancy, ma feuille de sortie accompagnée d’un papier précisant ma candidature d’engagé volontaire.
Je m’éclipsais du centre d’accueil nancéen et, passant par monts et vaux, je fus à nouveau arrêté par un contrôle américain à Morhange. Je croupis trois jours dans les caves. A force de persuasion et grâce à l’aide d’une cousine travaillant auprès des Américains, je pus réintégrer mes chers pénates. A la mi-mars 1945, après la libération de Forbach, arborant le brassard de FFI, j’appréhendais sur l’axe de passage du village, les rares voitures, pour de banals contrôles. J’épinglais ainsi le sous-préfet de Forbach à mon tableau de chasse :
« Votre laissez-passer, vos papiers, S.V.P.!
- C’est parfait, me dit-il, vous faites bien votre travail ! ».
Mais Dieu, que ces Américains étaient méfiants ! Ils ne devaient rien comprendre à notre situation mosellane partagée de longue date entre les appétits et les guerres franco-allemandes. Ils venaient peut-être du lointain Nebraska et appliquaient la stricte censure militaire : la France est un pays ennemi. En effet, les soldats américains avaient une appréciation tendancieuse sur l’attitude de la France. Pour certains, elle était devenue « Persona non grata » parce que Pétain avait traité avec Hitler et que Pierre Laval, le chef du gouvernement, souhaitait en son temps, la victoire de l’Allemagne. Pour d’autres, leur évaluation était plus objective : la France devenait alors une alliée qui était entrée en guerre aux côtés de la Grande-Bretagne en 1939 et dont les Armées venant de l’Empire colonial, se battaient avec eux.
L’impression d’ensemble pourtant, créait une confusion totale. De Gaulle, dans l’esprit des G.I.’s n’était reconnu que comme autorité provisoire. Roosevelt lui préférait d’ailleurs le général Giraud. Il était même question de frapper une monnaie française à l’étranger. Et, injure suprême, Eisenhower souhaitait soumettre la France à l’AMGOT (Allied Military Government Occupied Territories) ! Sur le coup, je ne compris pas cette attitude radicale de la part des Américains. Le temps, l’Histoire et avec le recul, ma propre vision des choses, m’ont permis de mieux apprécier la situation, ô combien floue, de cette époque troublée.