Madame Formery Léonie,  née Flauss

 




A 13 ans, on a une vision éphémère de ces événements tragiques. Pourtant, je me souviens encore de quelques détails gravés à jamais dans ma mémoire. Une dizaine de personnes (famille Diroux, le Schuster Peter, ma famille), vivait recluse et confinée dans notre sous-sol, somme toute, solide, puisqu’il disposait d’une dalle bétonnée et de murs vaillants.

Je me rappelle avoir dormi durant ces jours interminables sur un plancher improvisé au-dessus des betteraves ! Nos habits étaient accrochés dans un recoin.

Le fourneau était allumé avec appréhension car on redoutait toujours, à cause de la fumée, un coup direct au but (ein Volltreffer). C’est ce qui arriva en effet ! Si un large trou béant dans la toiture permit à notre unique vache d’admirer la voie lactée, elle cessa par contre de ruminer, bien inquiète, sous les tirs d’obus !

Au cœur du combat, j’ai entendu gémir un soldat allemand, victime, à mon avis d’une chute de grosses pierres  qui l’ont grièvement blessé. D’ailleurs le clocher, à cette occasion, avait été sérieusement atteint et les gravats jonchaient partout le sol.

L’entrée devant notre maison n’avait pas été épargnée, non plus : le sol y était littéralement labouré et les entonnoirs bordant les larges tranchées de résistance creusées par les pionniers allemands (et qui s’étaient remplies d’eau à cause du mauvais temps) témoignaient de l’âpreté des affrontements. Les Américains avaient fait une belle moisson de prisonniers dans l’église, une quarantaine de feldgrau qui préférèrent de loin, la paix à la guerre !

Beaucoup d’Allemands étaient résignés à se rendre. Je me souviens du cas de conscience soumis à mon père lorsque deux (supposés) déserteurs vinrent quémander des effets civils. Mon père, méfiant, ne voulut les satisfaire. S’ils avaient été, en fait, des gars de la Gestapo, son compte aurait été bon. D’autant plus que ses fils Victor et Joseph ayant déserté, il était sur la sellette et figurait sur la prochaine liste de départ vers les camps de déportation. Aussi, notre maison devenait-elle, obligatoirement, à chaque passage d’unités allemandes, le pied-à-terre attitré des soldats. Nous avons accueilli un jour un Oberst (colonel) qui était là pour tester des canons à culasses décuplées, installés à l’abri derrière la forêt du Studen. Défaitiste, il nous signala même qu’après son rapport de balistique présenté à Berlin, il s’esquiverait !

Une autre fois, des soldats allemands bien charitables, nous aidèrent, l’un à ramasser nos pommes-de-terre, et l’autre, installé sur l’arbre, à nous cueillir les pommes. En revanche, des jeunes de 17 ans, fanatiques au possible, allaient, fanfarons au combat. Bardés de colliers de cartouches, ils partaient, disaient-ils, dans les positions pour clouer sur place l’avance ennemie. Ils dormaient tout habillés dans nos lits, prêts à bondir sur leurs armes à la minute. L’un d’entre eux fut fier de nous annoncer que sa mère venait d’accoucher : « Noch einen Bub für den Führer ! » (encore un fils pour le Führer).

Ma mère fut obligée de leur préparer des pommes-de-terre à la sauce brune dont ils s’empiffrèrent. C’était d’ailleurs la seule pitance qu’ils pouvaient encore s’offrir !

Notre nourriture était par contre plus variée. Grâce au lait de la vache, la crème était battue en beurre. L’eau potable, nous allions la chercher dans le puits situé dans le jardin des Adamy. Mais là, le transport s’avérait toujours risqué, en raison des balles perdues et des tirs à l’improviste. Mon père profitait de la corvée d’eau pour vérifier si le fumier épais calfeutrait encore bien nos soupiraux ou si la vache ne manquait de rien. La ruelle où nous habitions abritait souvent des voitures allemandes bien camouflées aux périscopes ennemis par les murs de jardin et le pâté de maisons voisines.

La méfiance des G.I’s était incroyable. Lorsqu’ils se présentèrent chez nous, le 4 décembre, une volée de balles perfora la porte d’entrée. Mon père servit de bouclier humain aux Américains armés de P.M. et il dut, chambre après chambre, participer à la quête d’éventuels Allemands. Ils poussèrent même le sérieux jusqu’à fouiller de fond en comble notre cave, à la recherche d’ennemis potentiels.

Un lazaret de campagne fut installé dans nos chambres à l’étage et longtemps, nous patientâmes dans notre cave incommode, avant de disposer de nos lieux. Un soldat américain, compatissant, partit avec ma sœur Agnès, à la recherche de mon frère Joseph, arrêté au Biehl par la Military Police. Malheureusement, son intervention fut bien vaine. (cf. déposition de Flauss Joseph).

 



Puisque j’ai l’occasion d’en parler, j’évoquerai un fait, anodin au départ, mais dont l’issue fatale m’a beaucoup marquée. J’étais avec mon amie Marie Wendel faire paître nos vaches près de l’actuel château d’eau. Nous avons vu, au loin, deux hommes venir dans notre direction. Sauve-qui-peut et coups de fouet assénés aux vaches nous ramenèrent rapidement au village. Déduction faite, il devait s’agir des deux maquisards : Hackenberger et un Serbe, qui furent arrêtés plus tard, condamnés à mort et fusillés, l’un, derrière la ferme Bruskir, le long du talus de la voie ferrée et l’autre, en forêt de Farschviller.