Madame Koch Irène+, née Diroux

 

« Mon Dieu, ces 55 ans ont filé à une allure. Est-ce déjà si loin ? ».

 

Retour de l’exode :

Lorsque nous sommes revenus de la Charente en septembre 1940, le spectacle de notre maison bien endommagée nous causa du souci. Le toit avait été soufflé lors de l’attaque du 12 mai précédent où l’artillerie allemande avait détruit un grand pâté de maisons dans le cœur du village. Maman, qui était veuve, voulait rester chez elle prétextant que si elle quittait sa maison, elle ne pourrait jamais prétendre à une autre. Nous dormions à la belle étoile avec de larges parapluies au-dessus de nos lits avant que le Wiederaufbau (reconstruction) nous refasse le toit.

Je travaillais chez M. Wagner Nicolas, sa femme étant décédée. Les parents Blum, originaires de Béning, avaient convaincu M. Wagner d’accueillir, malgré les énormes risques encourus, leur fils insoumis Aloyse dit Seppel. Ils venaient de perdre le cadet et ne souhaitaient pas en sacrifier un autre sur l’autel nazi. On m’avait mise dans la confidence. Nous le cachâmes donc dans la maison, sous un clapier. Interdiction absolue de divulguer sa présence ; même ma mère ne le sut pas. Il occupait ses journées dans la maison, à nourrir les vaches, à leur donner le foin. Un jour, la jeune Valérie Cehovin le découvrit en train de fendre du bois dans l’arrière-cour. Je lui expliquais que c’était le cousin de Rosbrück, passé nous rendre visite et qui voulait faire plaisir au parrain.

Nous étions continuellement sous pression. Dès qu’un coup de sonnette déchirait le silence, le jeune Blum était sur ses gardes. Si c’était une connaissance, le ton de la conversation se déroulait normalement. Dès qu’on haussait le ton, le Malgré-Nous s’éclipsait car nous traînions volontiers devant l’embrasure de la porte d’entrée pour freiner la curiosité des visiteurs. C’est ainsi qu’un soir, des coups répétés se firent entendre. Des soldats allemands rentrèrent, en bousculant les habitudes. Blum eut la présence d’esprit de culbuter par la fenêtre et de se sauver dans l’abri du jardin parmi les lapins. Les Allemands repartirent avec une radio réquisitionnée sous les bras.

Les avions U.S :

Un gars de Farschviller ramena un jour de septembre 1944 le porte-monnaie et le chapelet du jeune Wagner René. Le père affolé et inquiet pour son fils partit sous la menace continuelle des avions, lui rendre visite à l’hôpital de Merzig. Ces avions U.S. étaient d’ailleurs une plaie. Un jour, alors que j’étais en train de cueillir mes haricots, un groupe d’avions de chasse me survola à très basse altitude. Il effectua plusieurs passages ; des tirs fusèrent. J’appris ce soir-là que le jeune Bigel Gilbert fut grièvement blessé par des balles tirées d’un avion.

Par ailleurs, le fait de devoir aller chercher le pain à Théding n’était pas réjouissant. En cours de route, on pouvait facilement être victime de tirs aériens.

 

Préparatifs de combat :

Sous la conduite de deux S.A., les jeunes filles réquisitionnées partirent au Biehl creuser des tranchées en zigzag. C’était un travail éreintant. Notre moral pourtant n’était pas atteint.

Nous avons ainsi chanté la Marseillaise en montant vers l’ouvrage. Des grand-mères affolées nous ordonnèrent de nous taire. « Vous allez toutes nous faire emmener au K.Z ! » (Konzentrationslager ou Ka Zett’ : camp de concentration).  Toutes les excuses étaient bonnes pour retarder l’exécution des travaux :

- soit, on réclamait des chaussures adaptées pour travailler dans de bonnes conditions (aïe ! à l’engueulade !),

- soit, on cassait les manches de bêches que nous placions sur les fossés avant de marcher à plusieurs dessus pour les briser et pouvoir aller les réparer dans la baraque de M. Glad Joseph.

Une espièglerie me revient à l’esprit.  Nous avons simulé la présence d’avions. « 1, 2, 3... » fit l’une de nous en montrant l’horizon alors que les autres affolées se ruaient dans les tranchées. Notre scénario-catastrophe n’avait pas échappé au chauffeur d’une Mercedes qui sauta avec les officiers dans le fossé bordant la route. Ce gag les mit en fureur et l’une d’entre nous écopa d’une gifle maison.

 

Combats :

J’ai peu de choses à dire, puisque cela a déjà été évoqué avec les frères Wagner René et Roger. Ce qui m’a le plus impressionné, c’était le fait d’avoir été emmenée sous bonne escorte au Erbhoff. Je dis à l’interprète américain : « Cela fait si longtemps qu’on vous attend, et vous nous faites encore subir un tel outrage !

- Mademoiselle, nous avons trouvé des effets militaires allemands chez vous. On peut donc supposer que vous êtes des sympathisants.

- Mais pas du tout... ».

Pendant notre audition, les G.I.’s fouillèrent de fond en comble la maison et tombèrent sur le schnaps... qu’ils gâchèrent bêtement en le transvasant dans des bouteilles imprégnées de gas-oil ! Ils arrêtèrent les recherches en tombant sur notre drapeau français.

Je me souviens aussi être allée, durant les combats, rendre visite à ma mère qui était installée chez la famille Flauss Victor près de l’église. J’ai dû ce jour-là passer derrière les maisons et me jeter par terre à chaque passage d’avions.

Après la libération :

 

Dès 6 heures du soir, il nous était interdit de sortir de la cuisine. Les sentinelles montaient la garde à l’avant de la maison où se trouvaient des bureaux. Un soldat américain sympathique m’accompagnait parfois au rosaire. A cette époque, nous mangions à satiété. Même notre cochon ne s’en plaignit pas car des seaux entiers de nourriture délaissée atterrissaient dans son auge !