Lacroix Alphonse+ et son épouse Clotilde+

 

Préliminaires :

Alphonse:

En attendant les combats dans notre secteur, la population fut astreinte à de nombreux travaux dans la campagne destinés à freiner l’avance alliée. De ce fait, je devais en vélo, partir à Maxstadt, aider à ériger des fortifications ou creuser de larges fossés. J’emmenais parfois trois chambres à air, tout simplement parce que nos vieux pneus étaient usés jusqu’à la corde. De nouveaux pneus restaient introuvables en cette période de disette industrielle car le « gummi » était entièrement utilisé dans la machine de guerre allemande. De quel trésor d’ingéniosité ne fallait-il pas disposer pour coller les rustines, et cela parfois encore à 23 heures, à l’heure du retour au bercail !

Temps honni parce que pluvieux, ma pèlerine détrempée pendouillait lamentablement chaque soir au coin de l’âtre pour y sécher et dégageait une odeur écœurante de caoutchouc vomi dans la cuisine surchauffée. Les resquilleurs qui refusaient ce travail de terrassement partaient en prison sur dénonciation.

Lors de l’aménagement d’un large fossé en bas du Biehl, (de 3 m de long et de 2 m de profond), un avion américain nous prit pour cible. Blottis dans notre trou (avec Bour Alphonse et Schoemer Albert), nous entendîmes les balles miauler dans le talus, à trois de mètres de nous. Albert en fut quitte avec un pied foulé, son camarade, en sautant dans le drain, lui avait rudement heurté la jambe.

Les Allemands étaient affamés. L’un d’eux vint un jour chez ma mère, porteur d’une minable lessiveuse d’eau trouée. Il voulait la chauffer et cherchait désespérément quelques légumes.  Ma mère, originaire de Bézange-la-Petite et ne connaissant pas l’allemand, comprit à sa mimique qu’il était prêt à manger…..sa casquette. Elle lui trouva quelques pommes-de-terre et un trognon de chou ! A la veille des combats, un autre Allemand affamé vint nous rendre visite et pendant qu’il s’entretenait avec nous, croquait une pomme de terre crue !

Clotilde:

Il fallait aller chercher le pain à Théding avec les cartes d’alimentation. Avec nos miches de pain, ma sœur Félicie et moi fûmes bloquées par des balles qui sifflèrent dans les feuillages des tilleuls, non loin du croisement de Théding. Des Allemands compatissants nous emmenèrent dans leur Kubelwagen à la maison. Félicie leur dit en guise de remerciement, qu’ils auraient droit à un verre de schnaps la prochaine fois.

A quoi, l’un d’eux répondit : : « Ihr sagt das, weil sie genau wissen dass wir nicht mehr kommen können» (vous dites cela parce que vous savez pertinemment que nous ne pourrons plus revenir).

Alphonse:

Nous avons, en fait, peu à raconter sur la violence des combats, notre maison étant située en haut du village où les Allemands ne s’aventurèrent pas. Notre cave avait deux locaux : l’un à l’arrière, bien enterré à fleur de jardin et la pièce de devant, éclairée par une lucarne. Deux lits avaient été descendus : l’un pour ma mère et l’autre pour la voisine, Fayer Louise, paraplégique. Julien, mon frère s’enhardissait parfois à cuire de très bon matin un pain du tonnerre, si croustillant et qui avait en ces temps incertains l’odeur alléchante du pain bénit. Les enfants dormaient sur les rangées de clayettes sur lesquelles étaient d’habitude stockées les pommes d’automne.

Le 28 novembre, au matin, un bruit singulier se fit entendre. Après de vains essais contre la porte arrière, un coup de feu fut tiré. Les Américains s’y engouffrèrent. Un soldat noir se présenta. Adepte de Bacchus, il sabra avec son fusil une bouteille de schnaps et nous imposa d’en ingurgiter. Même ma mère, d’habitude peu encline à boire, dut rincer son palais avec cette boisson abhorrée. « Restez dans la cave ! » nous intima-t-il.

 Par le soupirail, j’essayais de temps en temps de deviner ce qui se passait au dehors. Peu de bruit parvenait à mes oreilles. Une seule fois, quelques tirs ricochèrent sur la route, tels des grêlons, suivis bientôt par un tir d’obus qui écorna le pignon arrière de notre habitat. Notre éclairage rudimentaire nous transformait en parfaits ramoneurs : une Funzel (lampe à pétrole défectueuse) dégageait une fumée calamiteuse.

 

Libération

Clotilde:

Au matin du 4 décembre, une longue file d’engins blindés U.S. se dirigea vers Théding. Du pas de la porte, je pus distinguer leur rapide avance sur le Plinter.

L’avenir s’annonçait un peu plus radieux. Notre fils Gaston, âgé de 3 ans, arborait un sourire émerveillé, les bras chargés de gâteries yankee.

Finis, les jours d’angoisse où nous cachions notre frère et beau-frère, René Adamy (qui fut obligé, un jour, de sauter par la fenêtre et de s’affaler dans le carré de choux, lors de la visite inopinée d’un S.A. !).

Fini le silence de rigueur imposé au petit, si prompt à parler de choses et d’autres à un quelconque visiteur !

chez la famille Flauss Victor près de l’église. J’ai dû ce jour-là passer derrière les maisons et me jeter par terre à chaque passage d’avions.

 

Après la libération :

 

Dès 6 heures du soir, il nous était interdit de sortir de la cuisine. Les sentinelles montaient la garde à l’avant de la maison où se trouvaient des bureaux. Un soldat américain sympathique m’accompagnait parfois au rosaire. A cette époque, nous mangions à satiété. Même notre cochon ne s’en plaignit pas car des seaux entiers de nourriture délaissée atterrissaient dans son auge !